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Y a-t-il une part d’inconscient dans l’entrepreneuriat ? – The Conversation

Christophe Schmitt, IAE Metz School of Management – Université de Lorraine et Nicole Saliba-Chalhoub, Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) – AUF, 27 août 2023

L’entrepreneur, un sujet agissant de façon tout autant inconsciente que consciente. Cdd20/Pixabay, CC BY-SA

Lorsqu’on aborde le sujet de l’entrepreneuriat, il vient habituellement à l’esprit des éléments comme la création d’entreprise, la performance, le succès, l’échec, le financement, l’importance des réseaux, etc. Bref, autant d’éléments qui ont largement leur place pour comprendre l’entrepreneuriat certes, mais dans sa dimension observable, autrement dit celle de la face visible de l’iceberg.

Dès lors, il convient de nous demander s’il n’existe pas d’autres voies à explorer en dehors de ce cadre, susceptibles d’apporter un regard différent et pertinent sur l’entrepreneuriat.

C’est dans cette perspective que nous travaillons au sein du Think Tank R2E* (Recherche & Expertise en Entrepreneuriat) pour explorer de nouvelles approches. L’un des axes prioritaires de ces dernières années s’inscrit au cœur du concept de « l’agir entrepreneurial » et, plus particulièrement, dans le sillage d’un programme de recherche-action portant sur « l’intentionnalité » comme voie/voix de l’entrepreneuriat.

Ce qui nous a amenés à développer une lecture psychanalytique de l’entrepreneuriat dans une perspective pluridisciplinaire mettant en avant la fonction de l’inconscient dans l’agir entrepreneurial : désir, avancée, entraves, syndrome de l’imposteur, Idéal du Moi, Moi Idéal, peur, prise de risque, etc.

L’intentionnalité, un accès à l’inconscient

L’intentionnalité n’est pas directement accessible en tant que telle. Elle est la frontière entre l’inconscient et la conscience de l’« être-là », pour reprendre le terme du philosophe allemand Martin Heidegger. Elle est immanente, subjective et dynamique dans le sens où c’est elle qui vectorise la conscience de l’individu vers un objet dans le monde. Autrement dit, elle constitue le tremplin de l’expression du désir de l’« être-au-monde » ; c’est elle qui guide les actions des uns et des autres, en l’occurrence celles des entrepreneurs par rapport à leur projet.

Si l’intentionnalité correspond à la face immergée de l’iceberg, l’enjeu en est, par conséquent, de faire faire une prise de conscience de leur intentionnalité aux personnes désireuses d’entreprendre. Ces dernières pourront alors se comprendre et comprendre leur agir, notamment en termes de projet porté, de décisions prises et d’actions entreprises.

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Appliquée à l’entrepreneuriat, ce concept d’intentionnalité s’inscrit dans le courant de recherche qui envisage le sens que construit l’entrepreneur, notamment au travers du respect de ses propres valeurs et des rapports avec son écosystème.

Ce courant de recherche ambitionne non seulement de comprendre la place de l’intentionnalité dans le processus entrepreneurial mais aussi la manière dont on peut l’aborder en la rendant explicite aux yeux de l’entrepreneur. Il s’agit donc de permettre à l’entrepreneur d’en prendre conscience afin de mieux se comprendre et de favoriser son agir entrepreneurial.

Ce changement de perspective n’est pas neutre. Il favorise la prise en considération de l’inconscient dans les recherches en entrepreneuriat, là où seul le conscient l’est. Il amène aussi à ne plus se limiter à définir l’entrepreneur comme un simple acteur, mais à le considérer aussi comme un sujet pensant, agissant de façon tout autant inconsciente que consciente.

Comme il n’est pas possible d’avoir un accès direct à cette intentionnalité, seules les traces liées aux actions en cours ou passées permettraient de la comprendre. Pour déceler ces traces et trouver un fil rouge entre elles, nous avons établi un questionnaire, que nous soumettons aux entrepreneurs. Cet accompagnement personnalisé permet de prendre conscience du fait que les projets sont essentiellement mus par un vecteur intentionnel propre à chaque individu.

Conforter son estime de soi

Nous avons accompagné, par exemple, un jeune entrepreneur, Olivier, à la tête d’une start-up du secteur de la santé. Olivier, titulaire d’un master en sciences de gestion, se tenait alors au croisement de deux décisions antagonistes à prendre : céder sa start-up, laquelle pourtant était en train de gagner en rayonnement, ou y rester à condition d’entamer en parallèle le projet d’une thèse de doctorat.

Hésitant entre l’une et l’autre des deux décisions dont les motivations intimes semblaient lui échapper, Olivier s’est alors tourné vers nous. L’accompagnement entrepreneurial axé sur le travail sur son intentionnalité lui a permis de comprendre qu’il était aux prises avec le syndrome de l’imposteur. En effet, toute son équipe était constituée de professionnels de la santé, pendant que lui venait du monde du management.

Les entraves à la poursuite de son projet émanent donc de son sentiment d’illégitimité et de sa peur inconsciente d’être démasqué. Obtenir un doctorat lui apparaissait comme pouvant peut-être donner le change. L’accompagnement proposé lui a permis dès lors de cesser de développer des stratégies inconscientes d’auto-sabotage et de conforter son estime de soi, afin de rester à la tête de sa start-up tout en étant à la fois fier de son projet et fier de sa personne. Aujourd’hui, sa start-up est inscrite dans la durée et dans le succès.

Un entrepreneur n’entreprend pas par hasard

Le travail d’accompagnement effectué, dans ce sillage, avec l’entrepreneur sur les « origines » de son ambition d’entreprendre, sur ses projets passés, actuels et futurs, permet à terme à celui-ci de prendre conscience de l’intentionnalité qui l’habite, qui l’amène à porter un projet entrepreneurial, à chercher à l’ancrer dans un écosystème, en vue de le partager avec le monde, dans lequel et sur lequel il voudrait agir, muni de valeurs communes, ou croisées et harmonisées et d’un sens mutualisé.

En somme, la mise en lumière de l’intentionnalité a ceci de très important : elle conforte, d’une part, la cohérence interne du projet porté par l’entrepreneur, en favorisant sa propre compréhension approfondie des raisons pour lesquelles il voudrait entreprendre ; et, d’autre part, elle génère une meilleure traduction de ce même projet auprès des parties prenantes concernées, en en consolidant donc la cohérence externe.

De la sorte, deux trajectoires se retrouvent raffermies, celle qui lie le Moi de l’entrepreneur au projet qu’il porte et celle qui, pour sa part, lie le projet en tant que tel à ceux que l’on désigne par les acteurs de l’écosystème à construire. Un entrepreneur n’entreprend pas par hasard : son intentionnalité est bien le fruit d’une rencontre entre l’interne et l’externe, entre sa représentation du monde (externe) dans lequel il évolue et sa compréhension (interne) de ce même monde.

*R2E : Recherche et Expertise en Entrepreneuriat – Structuration d’une communauté scientifique en entrepreneuriat par une plate-forme collaborative au service des acteurs de l’écosystème entrepreneurial de la Région Grand Est » est cofinancé par l’Union européenne dans le cadre du Programme opérationnel FEDER-FSE Lorraine et Massif des Vosges 2014-2020.

Christophe Schmitt, Professeur des Universités en entrepreneuriat, IAE Metz School of Management – Université de Lorraine et Nicole Saliba-Chalhoub, Full Professor – Ph.D. Literature & Applied Psychoanalysis, Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) – AUF

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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