Qu’est-ce qui pousse les particuliers à investir dans les fonds verts ? La réponse se situe peut-être au sein de la cellule familiale. Une récente étude montre que les hommes ayant des filles sont plus incités par ces dernières à prendre en compte l’impact environnemental de leurs investissements.
Les inquiétudes face au changement climatique sont de plus en plus prégnantes. 93 % des citoyens européens le considèrent comme un problème sérieux et 77 % comme très sérieux. Pour autant, on n’observe pas de traduction de cette inquiétude en espèces sonnantes et trébuchantes du point de vue de l’investissement vert. L’Association française de la gestion financière, dans son enquête annuelle de 2023, observe que les fonds d’investissement durables représentent 59 % des investissements fin 2023.
Mais les montants investis dans les fonds « article 9 », aussi dits « très verts » au sens de la règlementation européenne, les plus vertueux environnementalement parce qu’avec un objectif de durabilité, ont baissé de 24 %. Ils ne constituent que 88 milliards d’euros investis, soit seulement 3 % des fonds d’investissement. Cet apparent paradoxe entre préoccupations environnementales élevées au niveau individuel et faible mobilisation collective dans le domaine de l’investissement financier vert interroge.
Les enfants persuadent-ils leurs parents d’investir plus durable ?
La littérature académique en finance étudie la question de l’investissement vert depuis quelques années désormais. Elle a identifié un certain nombre de motivations des investisseurs, comme les raisons éthiques et financières, les connaissances financières ou encore le rôle de l’altruisme. Les facteurs individuels étudiés jusqu’à présent n’ont cependant jamais analysé l’influence de la sphère familiale. Le domaine des finances personnelles, ou finance des ménages, propose quelques travaux de recherche prenant en compte le contexte familial des décisions financières des investisseurs individuels et, notamment, la présence d’enfants au sein de la famille.
Dans un article de recherche, nous avons tenté de comprendre pour la première fois si la parentalité influence les choix des investisseurs individuels dans le cas spécifique des fonds verts. Notre approche s’inspire de résultats issus d’autres disciplines que la finance qui soulignent l’influence des enfants sur les parents. Par exemple, les pères ayant des filles sont plus susceptibles d’adopter des positions politiques ou des pratiques RH en faveur de l’égalité des sexes, mais aussi des politiques de responsabilité sociales et environnementales plus poussées.
Les filles davantage soucieuses concernant le changement climatique
Concernant l’environnement, les filles semblent plus sensibles aux problématiques environnementales. Une étude récente montre par exemple que 44 % des filles ont un fort niveau d’inquiétude concernant le changement climatique contre 27 % des garçons. On peut ainsi penser que les parents ayant des filles, en raison des préoccupations écologiques plus marquées de leur progéniture, soient plus enclins que leurs homologues n’ayant pas d’enfants ou ayant des garçons à réaliser des investissements alignés avec des valeurs environnementales. Greta Thunberg elle-même illustre cette influence en témoignant : « j’ai commencé mon activisme à la maison en modifiant les habitudes et façons de penser de ma famille et de mes proches ».
Pour tester cette hypothèse dans le domaine de la finance verte, nous avons réalisé une enquête auprès d’un échantillon représentatif d’investisseurs français entre décembre 2021 et janvier 2022. L’échantillon de 2 288 investisseurs comprend 499 investisseurs ayant placé au moins 500 € dans des fonds d’action de type article 9. Ces fonds d’investissement ont pour objectif l’investissement durable dans une activité économique qui contribue à un objectif environnemental : l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique, l’utilisation durable des ressources hydriques, la transition vers une économie circulaire, la lutte contre la pollution et la protection de la biodiversité…
L’échantillon comprend des données détaillées sur les caractéristiques personnelles des individus, telles que l’âge, le sexe, les connaissances financières, le niveau d’éducation et la taille du portefeuille d’actions. Par ailleurs, afin de mener notre analyse, nous avons recueilli des informations sur chacun des enfants du foyer, leur âge et leur sexe, permettant ainsi d’examiner l’effet spécifique d’avoir une fille sur les décisions d’investissement des parents.
Un changement de comportement plus marqué avec les nouvelles générations
Nos recherches aboutissent à plusieurs conclusions intéressantes. Tout d’abord, l’analyse montre clairement que le fait d’avoir une fille augmente la probabilité pour un parent d’investir dans des fonds verts d’un peu moins de 4 %. Parallèlement, élever un garçon n’a aucune influence significative sur le fait d’investir dans un fonds vert ce qui démontre que le simple fait d’avoir un enfant n’explique pas cette relation : le sexe de l’enfant est donc important. En outre, en cohérence avec notre hypothèse, les filles n’influencent que leurs pères et non leurs mères qui ont déjà tendance à présenter des valeurs plus environnementales.
L’étude met par ailleurs en lumière le fait que plus les filles sont jeunes, plus leur influence sur les décisions d’investissement de leurs pères est forte. Ceci tient probablement au fait qu’elles ont plus d’influence en étant au sein du foyer, et que les programmes scolaires en France incluant des cours sur le développement durable et les enjeux environnementaux ont été renforcés depuis 2011. Enfin, les résultats montrent que l’influence des filles ne se limite pas à la décision d’investir dans des fonds verts, mais s’étend également au montant investi. Les pères ayant au moins une fille investissent des montants plus importants, ce qui suggère une plus grande adhésion à la cause environnementale.
Ainsi, au-delà de son effet en matière de préoccupations environnementales, nous montrons l’impact surprenant de l’influence intergénérationnelle sur les décisions financières des parents. Cela plaide en faveur de l’intégration des questions liées au changement climatique dans l’éducation pour toucher indirectement les parents. Au-delà de la sensibilisation des enfants, l’éducation des filles en particulier peut également avoir des effets secondaires financiers positifs sur leurs pères en favorisant les flux d’argent vers des investissements verts. Étant donné que l’éducation sur cette question est en développement, on peut espérer que l’apprentissage intergénérationnel influence positivement les décisions d’investissements verts dans les portefeuilles des ménages et contribue ainsi activement au financement de la transition écologique.
Fabrice Hervé, Professeur en Finance, IAE Dijon – Université de Bourgogne et Sylvain Marsat, Professeur en Finance, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.