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Réserves marines près des villes : une protection aux nombreux défis – The Conversation

Benoit Dérijard, Université Côte d’Azur et Julie Marty Gastaldi, IAE Nice – Université Côte d’Azur, Le 10 Octobre 2024

Calanque de Port Pin en 2021. Milan Sommer/Shutterstock

De nombreuses réserves marines riches en biodiversité jouxtent les littoraux et leur population. Ces zones-là restent cependant sous-représentées parmi les aires marines protégées. En prendre soin parait pourtant particulièrement crucial au vu des nombreuses interactions entre les populations humaines et les environnements marins qui les entourent.


Imaginez un écosystème marin riche et divers. Il y a de forte chance que vous vous figuriez alors un endroit lointain, peu peuplé, avec pléthores d’oiseaux et de poissons exotiques. Pourtant, il existe de par le monde des zones marines à la biodiversité d’exception nécessitant protection aux abords mêmes des villes, et peut-être même non loin de chez vous.

C’est par exemple le cas des calanques de Marseille, bijoux de la Méditerranée française, qui attirent chaque année plus de 3 millions de touristes. Elles abritent également plusieurs milliers d’espèces dont plus de 60 sont patrimoniales et protégées. Les fonds marins du parc National des Calanques sont aussi composés de 14 habitats d’intérêt communautaire, c’est-à-dire considérés comme rares et fragiles. Chaque habitat abrite un écosystème spécifique, ce qui induit une diversité incroyable sur l’ensemble des calanques.

Vidéo du parc national des Calanques.

Parc terrestre et marin depuis 2012, les calanques sont protégées par décret. Les activités y sont donc réglementées et une équipe de gestion est mobilisée toute l’année pour permettre une application efficace de sa gestion. Le parc National des Calanques, tout comme la réserve de Banyuls sur mer, dans les Pyrénées-Orientales, ou encore le cantonnement du Cap d’Agde, dans l’Hérault sont en cela des Aires Marines Protégées (AMP).

Ce sont loin d’être les seules mais ces aires-là, qui détiennent une impressionnante biodiversité marine tout en voisinant aussi une importante population humaine, ont des défis spécifiques à relever. Voici pourquoi.

Fourni par l’auteur

Les services écosystémiques des aires marines protégées

D’abord car les aires marines protégées, qu’elles soient urbaines ou non, nous sont précieuses à plus d’un titre.

Les services rendus par les écosystèmes (services écosystémiques) des AMP à l’humanité sont multiples : protection des côtes, réserve de diversité génétique, protection de la biodiversité et des ressources, préservation des paysages, séquestration du carbone, protection du patrimoine culturel et des traditions. À titre d’exemple, les herbiers de posidonies du Parc des Calanques, de la Réserve de Banyuls ou de l’AMP du Cap d’Agde, outre leur capacité à séquestrer le carbone, à produire de l’oxygène et à servir de nurserie à de nombreuses espèces, offrent une protection hydrodynamique du littoral contre l’assaut des vagues et permettent de fixer le sable sur les plages par l’accumulation de « banquettes » de feuilles mortes.

Les AMP offrent aussi des avantages socio-économiques notamment concernant la pêche avec une augmentation des rendements (par unité d’effort de pêche) et donc des revenus. Ainsi la masse globale des poissons ciblés par les pêcheurs a été multipliée par 3,8 en quelques années à l’intérieur du parc National des Calanques. Les poissons ne connaissant pas de frontières, cette augmentation profite aussi aux pêcheurs artisanaux qui opèrent en périphérie du Parc. Ce phénomène de « Spillover effect » s’est généralisé en Méditerranée avec des résultats satisfaisants de l’Espagne à l’Italie en passant par la France.

La présence des poissons et crustacés de plus grande taille (mérous, corbs, rascasses, cigales, langoustes) ainsi que la garantie d’écosystèmes sains attirent également les plongeurs et les touristes dans les AMP. Le parc National de Port Cros dans le Var est ainsi bien connu par les plongeurs de Méditerranée. C’est un des seuls parcs marins français où l’on peut voir des spécimens de mérous atteignant jusqu’à 1 m 50, nombreux et non craintifs ! Cela génère des revenus pour les opérateurs touristiques, et procure également des bénéfices indirects aux entreprises locales telles que les restaurants et les hôtels. Mais si cela se transforme en tourisme de masse, l’AMP peut rapidement devenir impactée. Un équilibre doit alors être trouvé entre une activité économique durable et la conservation de la nature.

Vidéo du parc national de Port Cros.

Près des villes, la biodiversité marine est moins protégée

Les aires marines protégées proches des espaces urbains doivent relever de plus gros challenges.

Actuellement, 8 % de la surface totale des océans est protégée à l’échelle mondiale. Les 100 plus grandes AMP, qui couvrent 7 % de la surface des océans, sont réparties de manière inégale et se situent souvent dans des zones éloignées en mer ou dans des territoires au large d’archipel tropicaux.

Pourtant, les écosystèmes près des côtes ne nécessitent pas moins d’être protégés, du fait des menaces spécifiques qui pèsent sur eux, mais aussi de leur importance pour les populations vivants sur les littoraux. Pendant longtemps, les écosystèmes péri-urbains ont suscité de fait peu d’intérêt des gouvernements et collectivités locales. En effet, il est plus facile et politiquement bénéfique de protéger des zones isolées, abritant déjà une grande biodiversité peu soumises aux pressions anthropiques et pouvant donc garantir des résultats visibles plus rapidement.

Fourni par l’auteur

Récemment et du fait d’une prise de conscience globale de la nécessité de protéger l’ensemble des écosystèmes, les autorités (l’Union européenne par exemple) tendent à inciter à la protection de zones urbaines et péri-urbaines avec l’idée, également, de les rendre accessibles à un plus grand nombre.

L’ugence de mieux protéger les aires marines urbaines

Or, selon le rapport du GIEC, d’ici 2050, sur les 10 milliards d’habitants attendus dans le monde, plus d’un milliard vivront dans les zones côtières, et 2,5 milliards dans les zones urbaines. On comprend donc que les zones marines côtières urbaines sont des régions d’activités humaines intenses. La création de zones protégées dans ces espaces urbains pose un défi majeur. La Méditerranée, qui accueille chaque année plus de 400 millions touristes, a la moitié de ces AMP situées à moins de 2 km de la côte. Celles possédant un haut niveau de protection se trouvent dans des zones à fort impact humain c’est-à-dire qu’elles subissent de fortes pressions liées par exemple au tourisme, au trafic maritime ou à d’autres activités économiques.


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Les questions soulevées par les AMP urbaines

Nos recherches soulignent les particularités de la gestion des AMP dans ces milieux urbains.

Une AMP proche d’une grande ville est-elle mieux gérée qu’une AMP située dans un endroit sauvage, loin de toute présence humaine ? Une AMP loin des villes peut-elle quand même être touristique ? Quelles sont les réglementations à mettre en place lorsqu’un tourisme de masse frappe la zone protégée ? Doit-on interdire l’accès ? Le réglementer ? Quel usager est plus légitime à pérenniser ces activités ?

Enfin, existe-t-il des différences dans les réglementations mises en place dans les zones protégées en fonction du caractère urbain de la zone ? Les zones urbaines sont-elles qualitativement plus protégées afin d’anticiper les pressions humaines ? Autant de questions auxquelles nous espérons pouvoir bientôt répondre !

Du fait de sa sur-fréquentation, la calanque de Sugiton dans le parc National des Calanques, est soumise à une limitation du nombre de visiteurs qui impose une réservation obligatoire pendant la très haute saison. Cette mesure, mise en place à l’été 2022, est une nouvelle réglementation qui permet de limiter l’impact humain afin de préserver la nature. Ce dernier exemple cristallise toute l’ambiguïté de la protection des écosystèmes urbains qui est une nécessité mais qui peut, de ce fait, ne plus répondre à la vocation initiale des parcs naturels, à savoir, permettre au plus grand nombre d’accéder à la nature sans filtres sociaux ou technologiques. L’effet « report » sur les autres calanques ou sur d’autres espaces protégés est étudié et suivi de près pour que la mesure ne soit pas contre-productive.

Un autre exemple de gestion durable de l’activité touristique dans un espace protégé est la mise en place de quotas du nombre de plongeurs par an sur les sites de plongées. L’objectif est de réduire l’affluence et de limiter l’impact néfaste que peuvent avoir ces activités sur l’habitat et les espèces fixées comme les gorgones ou le corail rouge de Méditerranée.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

Benoit Dérijard, Chercheur, biodiversité marine, protection des écosystèmes marins, plongée scientifique, Université Côte d’Azur et Julie Marty Gastaldi, Doctorante en conservation marine, IAE Nice – Université Côte d’Azur

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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