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Pourquoi la RSE ne suffit pas à rendre nos sociétés plus durables – The Conversation

Emmanuelle Nègre, Université de Bordeaux; Emmanuelle Sauvage, IAE Bordeaux et Stéphane Trébucq, IAE Bordeaux – Le 15 janvier 2024

La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) s’applique progressivement au sein de l’Union européenne depuis le 1er janvier 2024. Le texte vise à harmoniser les pratiques de diffusion d’informations des entreprises en matière de durabilité, mais aussi à accroître la qualité et la disponibilité de ces informations.

L’objectif affiché est ainsi d’améliorer la transparence et la comparabilité des performances extrafinancières, afin notamment de réduire les pratiques de greenwashing et de permettre aux instances politiques supranationales d’opérer un suivi des évolutions en matière de développement durable.

Cette entrée dans une nouvelle ère de réglementation du reporting sociétal traduit en creux les limites des concepts visant à améliorer les performances extrafinancières des entreprises mobilisées jusqu’à présent, au premier rang desquels figure la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

Absence de sanctions

L’ouvrage intitulé Le grand livre de la RSE (Éditions Dunod), auquel nous venons de contribuer, montre bien les transformations encore nécessaires à y apporter. Bien qu’ayant indubitablement permis de mettre en lumière certaines problématiques écologiques et sociales et de financer quelques projets utiles, la RSE contribue aussi, et c’est là une de ses limites majeures, à masquer l’ampleur de la tâche, qui devrait réellement être engagée pour être à la hauteur de l’urgence écologique et sociale.

La RSE n’a pas réussi à impulser un changement en profondeur de nos sociétés parce qu’elle s’insère également dans un système économique basé sur des logiques telles que l’autonomie du marché, la compétitivité, la recherche infinie de croissance, dont la responsabilité dans la crise écologique et sociale actuelle n’est plus à démontrer.

Ensuite, parce qu’elle relève initialement d’un engagement volontaire de la part des entreprises, limitant ainsi son caractère contraignant surtout en l’absence de sanctions. Il importe désormais de reconnaître plus ouvertement le rôle politique joué de facto par l’entreprise au sein de la société. Notons, sur ce point, de grandes variations, selon les pays, du rôle et des missions attribuées à l’entreprise dans l’imaginaire collectif.

Cette marge de manœuvre laissée aux entreprises a conduit au développement d’approches de la RSE bien souvent trop superficielles et trop hétérogènes, donnant lieu à l’instauration d’un écart entre les discours et les résultats tangibles des pratiques de la RSE.

Ces critiques renvoient, en filigrane, à la question sous-jacente de la qualité, fiabilité et scientificité des outils d’évaluation de la RSE. On prendra comme illustration le cas des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) des entreprises cotées.

Nombreux sont ceux qui mettent en doute la possibilité d’opérer de manière fondée un système de notation fiable, du fait du grand nombre de données manquantes et de logiques de pondération difficilement justifiables.

D’autres rappellent le cas de maltraitance dans les établissements Orpea pour les personnes âgées, ayant démontré le décalage flagrant entre la réalité du terrain et les informations communiquées aux opérateurs de marché. Par ailleurs, dans l’univers des sociétés non cotées, on note un manque criant de bases de données qui pourraient permettre d’identifier les bonnes pratiques de la RSE.

Face à ces limites, quelles perspectives ?

Comme nous avons pu le voir, la RSE ne pourrait être considérée comme une solution miracle à tous nos maux. En outre, elle contribue, en l’état actuel, à nourrir l’illusion qu’il est possible de répondre aux enjeux globaux contemporains sans modifier en profondeur nos modes d’organisation et de consommation.

Dans cette perspective, il semble crucial de transformer en profondeur la RSE en privilégiant la concertation et la coopération entre l’ensemble des parties prenantes (clients, fournisseurs, banques et assurances, syndicats, associations, collectivités territoriales, etc.) et en favorisant un rapprochement entre les mondes académique et professionnel.

La définition de nos cadres réglementaires et de nos institutions juridiques a aussi un rôle central à jouer. Cependant, cette dimension coercitive devrait être complétée par une approche plus structurelle, s’appuyant sur une réflexion et un enseignement éthiques renouvelés. Faire de la RSE, ce n’est pas seulement agir au sein de l’entreprise et pour l’entreprise, c’est aussi agir via l’entreprise pour transformer la société, selon un contrat social qu’il devient urgent de repenser localement, en évitant le recours à une pensée unique.The Conversation

Emmanuelle Nègre, Professeure agrégée des Universités en Sciences de Gestion, IAE de Bordeaux, IRGO, Université de Bordeaux; Emmanuelle Sauvage, Maître de conférences- Gestion des différences culturelles, enjeux linguistiques internationaux, Ethnographie, IRGO, IAE Bordeaux et Stéphane Trébucq, RSE, développement durable, capital humain, pilotage de la performance, IAE Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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