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Musique : « Y’a d’la rumba dans l’air » autour du rachat de Believe – The Conversation

Jérôme Caby, IAE Paris – Sorbonne Business School

Le 27 février 2024

L’entreprise française Believe n’est cotée en bourse que depuis juin 2021. Pxhere, CC BY-SA

Le 12 février 2024, un consortium composé des fonds d’investissement TCV, EQT et de son PDG, Denis Ladegaillerie, ont annoncé vouloir racheter l’ensemble des actions de Believe, entreprise française de musique numérique et de services pour les artistes et les labels, ainsi que leur intention de retirer de la bourse la société. Cela passe par le rachat déjà acté à hauteur de 75 % des participations des anciens actionnaires (TCV Luxco BD, Ventech, XAnge, le PDG et d’autres actionnaires) et le lancement d’une OPA sur le solde.

Le prix de l’offre a été fixé à 15 euros par action, soit une prime de 21 %. Le consortium précise également que la prime est de 43,8 % et 52,2 % par rapport à la moyenne pondérée par les volumes sur les 30 et 120 derniers jours. Le conseil d’administration de Believe a accueilli favorablement cette offre sous réserve de la confirmation par un expert indépendant du caractère équitable du prix de l’offre.

 

Pourtant, les analystes de Stifel recommandent aux actionnaires de ne pas apporter leurs actions à l’offre, qui ne valoriserait pas l’entreprise à sa juste valeur. Comme l’indique le site spécialisé en finances Vernimmen, « Cherchez l’erreur »

Un parcours boursier chaotique

Selon son rapport annuel 2022, Believe accompagne aujourd’hui 1,3 million d’artistes (comme Jul ou Benjamin Biolay), notamment en les connectant aux plates-formes de musique digitale (Spotify, Deezer, etc.). La société a été introduite en bourse le 10 juin 2021 au prix de 19,5 euros l’action dans le bas de la fourchette annoncée (19,5-22,5 euros) et a récolté à cette occasion 300 millions d’euros.

Dès le premier mois de cotation, le cours a perdu près de 30 % de sa valeur et a poursuivi sa descente aux enfers au cours du temps à part un timide et éphémère rebond fin 2021. L’annonce de son retrait prochain de la cote est donc à la fois surprenant par sa rapidité – l’entreprise sera restée cotée moins de 3 ans – et compréhensible car elle n’a jamais enregistré une performance boursière correcte.

Une activité en forte croissance

Pourtant, Believe n’a cessé de croître au cours de cette période à la fois par des rachats de concurrents et par croissance organique. Le PDG indique d’ailleurs à l’occasion de l’annonce de l’opération :

« Nous avons atteint avec quasiment deux ans d’avance l’intégralité des objectifs que nous nous étions fixés à l’époque de notre introduction en bourse. Nous avons surperformé de manière significative nos objectifs, tant au niveau opérationnel que sur celui des résultats financiers. »

Et les prévisions de croissance pour les années à venir sont du même tabac selon la base de données financières Factset.

Des marges d’exploitation en progression

À la faveur du développement de l’activité, la marge d’exploitation, qui mesure la viabilité d’une entreprise, s’améliore également au cours du temps et ce mouvement devrait se poursuivre à l’avenir.

L’entreprise n’a par ailleurs aucun problème d’endettement avec une dette financière nette (dettes financières – trésorerie) négative de 271,9 millions d’euros au 31 décembre 2022.

Alors, comme se fait-il que la sortie soit prévue avec une telle décote par rapport à une introduction aussi récente ?

Juges et parties

Le conseil d’administration a émis un avis favorable sur l’opération. Mais pouvons-nous être surpris ? Si l’on regarde sa composition, la majorité des administrateurs sont parties prenantes à l’opération à la fois en en tant qu’acheteur et/ou vendeur. Il y a néanmoins quatre administrateurs indépendants dont trois auront d’ailleurs la charge de travailler avec l’expert indépendant sur le caractère équitable du prix de l’offre de sortie.

On pourrait certes tabler sur la déception de ceux qui vendent leur participation, mais il nous manque, sauf erreur de notre part, deux informations cruciales. D’une part, nous ne savons pas à quel prix ils sont rentrés historiquement dans le capital, et 15 euros n’est peut-être pas une si mauvaise affaire, même si elle est décevante.

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D’autre part, les fonds, en raison de leurs propres mécanismes de financement, sont souvent soumis à des échéances pour sortir de leurs investissements (ils utilisent par exemple des fonds fermés avec des échéances de clôture déterminées à l’avance et doivent solder leurs participations avant l’échéance avant de rendre l’argent à leurs investisseurs modifié des plus ou moins-values) et nous ne les connaissons pas non plus.

Recherche de rendements excessifs

Reste que, grâce aux 300 millions d’euros qui ont été levés en 2021 et conformément aux objectifs qui avaient été fixés à l’introduction, l’entreprise a financé avec réussite sa croissance interne et externe. Alors que des résultats positifs sont attendus, les investisseurs (non contrôlant) qui seraient entrés en 2021 et restés jusque-là repartent pourtant avec une forte moins-value de 23 %.

Nous verrons si tous acceptent de sortir alors que les perspectives sont au plus haut et si le prix actuel de l’offre permet de convaincre suffisamment d’actionnaires pour mettre en œuvre un retrait de la cote obligatoire (« squeeze-out ») comme souhaité par les promoteurs de l’opération.

Comme l’indique Vernimmen :

« Soit le prix de l’introduction était bon et dans ce cas, le prix de sortie est sous-évalué, et on lira avec intérêt le rapport de l’expert indépendant (Ledouble). Soit il n’était pas bon et le prix de sortie est correct »

Cela pose le problème de la valorisation lors des introductions et des sorties de la bourse, de la course aux mandats des banquiers, de la recherche de rendements excessifs des fonds d’investissement au détriment des investisseurs traditionnels, dont les particuliers. Enfin, cette situation interroge le rôle des organismes de surveillance de la place (l’Autorité des marchés financiers, AMF). Cela donne également une mauvaise image de la bourse en général et de la place de Paris en particulier. Comme le chanterait Alain Souchon, « Y’a de la rumba dans l’air » !

Alain Souchon, « Y’a de la rumba dans l’air ».

Jérôme Caby, Professeur des Universités, IAE Paris – Sorbonne Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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