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L’IA, un outil pour mieux prédire les faillites d’entreprises – The Conversation

Vanessa Serret, IAE Metz School of Management – Université de Lorraine et Sami Ben Jabeur, Université catholique de Lyon (UCLy) – Le 14 février 2024

Le nombre de défaillances a atteint 4279 en août 2023 contre 3935 un an plus tôt. Chris Liverani/Unsplash, CC BY-SA

À mesure que les dispositifs d’aides aux entreprises mis en place face à la crise du Covid-19 touchent à leur fin, de plus en plus de sociétés sont placées en liquidation ou en redressement judiciaire. Selon les chiffres publiés en septembre par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le nombre de défaillances a ainsi atteint 4 279 en août 2023 contre 3 935 un an plus tôt, renouant avec son niveau d’avant-crise.

Qu’en sera-t-il dans les prochains mois, avec une croissance au ralenti et dans un contexte économique et politique qui reste dans l’ensemble marqué par l’incertitude ? Pour une vision la plus fine possible des évolutions économiques et financières, les modèles statistiques traditionnels utilisés par l’industrie financière pourraient être complétés par de nouveaux outils basés sur l’intelligence artificielle (IA). Les travaux scientifiques s’interrogent sur les avantages et les inconvénients de ces modèles d’IA.

En effet, rappelons que parmi les applications diverses de l’IA, un domaine se distingue particulièrement : la prévision de phénomènes variés, allant des conditions météorologiques aux tendances boursières en passant par la prédiction de la faillite des entreprises. Utilisant des algorithmes d’apprentissage automatique, l’IA, alimentée par un grand nombre de données, est entraînée à reconnaître les signes précurseurs de difficultés financières, et évalue ainsi le risque de faillite. En outre, les différents modèles de prévision de faillite d’entreprises incorporant l’IA s’améliorent progressivement à mesure qu’ils intègrent de nouvelles informations.

Les modèles classiques surpassés

Concrètement, les différents modèles d’IA utilisés dans la prévision de faillite sont alimentés par des données financières (bilans, comptes de résultat, dettes, effet de levier, ratios de liquidité, etc.), des données opérationnelles (flux de trésorerie, taille de l’entreprise, secteur d’activité, chaîne d’approvisionnement, etc.) et des données externes (conditions du marché, concurrence, changements technologiques, indicateurs économiques, etc.).

L’une de nos études propose une nouvelle approche pour la prédiction de faillite basée sur l’apprentissage automatique hybride, exploitant la complémentarité des méthodes traditionnelles et de l’IA. Il en ressort que cette approche dépasse les méthodes statistiques classiques utilisées par les banquiers en permettant d’améliorer la précision de la prédiction. Par exemple, parmi tous les modèles testés sur un horizon d’un an, l’apprentissage automatique hybride a été le plus précis avec un pouvoir de prédiction exceptionnel atteignant 95,11 %.

Une autre étude a mis en lumière les qualités d’un algorithme sophistiqué d’apprentissage automatique appelé CatBoost, conçu pour classifier et prédire les faillites d’entreprises. Cette approche, comparée et testée par rapport à huit autres méthodes traditionnelles, a été appliquée à des données relatives aux faillites d’entreprises françaises entre 2014 et 2016. La prévision moyenne à un an, deux ans et trois ans des huit modèles classiques varient entre 65,38 % et 80,34 % alors que la prédiction moyenne du modèle d’IA est de 82,90 %, mettant en évidence sa supériorité. De plus, ce modèle d’IA permet de prendre en considération des données textuelles par exemple, les textes des rapports d’activités financières et extrafinancières, devenus essentiels dans la compréhension des stratégies d’entreprises.

Illustration d’IA
Les différents modèles de prévision de faillite d’entreprises incorporant l’IA s’améliorent progressivement à mesure qu’ils intègrent de nouvelles informations. Pexels, CC BY-SA

Enfin, une étude confirme la supériorité des modèles d’IA en termes de précision de la prévision. Celle-ci compare la performance de huit modèles classiques dans la prédiction de faillite d’entreprises françaises entre 2013 et 2017 à un autre modèle d’IA nommé XGBoost, qui prévoit correctement la détresse financière d’une entreprise en moyenne à hauteur de 84,7 %. Celui-ci a l’avantage de détecter des signes de défaillance jusqu’à cinq ans avant la faillite. De plus, ce modèle est hautement interprétable et révèle l’importance relative des diverses caractéristiques financières (variables comptables notamment), ce qui augmente sa transparence et sa crédibilité vis-à-vis des parties prenantes.

Les perspectives de la prédiction de faillite d’entreprise grâce à l’IA s’avèrent donc prometteuses. Dans des années futures, les techniques d’IA pourraient être capables d’analyser les risques en temps réel facilitant ainsi une réponse plus prompte et adaptée des entreprises face à des environnements changeants. Elles pourront notamment incorporer des sources de données complémentaires telles que les tendances des médias sociaux, les événements géopolitiques ou les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance pour enrichir leurs analyses.

D’importants défis à relever

Toutefois, les bouleversements économiques mondiaux, tels que la pandémie de Covid-19, ont révélé la capacité de changements rapides et imprévus à affecter drastiquement le paysage économique, défiant ainsi tous les modèles prédictifs. L’IA n’est pas la solution à tout. D’abord, la précision de ces outils dépend fortement de la disponibilité de données abondantes, fiables et de haute qualité. Par ailleurs, la complexité et l’intrication croissantes des chaînes d’approvisionnement mondiales rendent la prédiction des faillites toujours plus difficile.

De manière générale, lors de crises majeures, la fiabilité des modèles IA basés sur des données historiques peut se trouver compromise, ces données ne reflétant pas nécessairement l’état actuel ou futur des marchés et des conditions opérationnelles.

La sophistication croissante des outils d’IA soulève également des questions sur leur crédibilité. Pour maintenir la confiance des acteurs du secteur économique et financier et assurer la conformité avec les réglementations en vigueur, il est donc essentiel que ces systèmes avancés demeurent compréhensibles et transparents_ dans leurs processus de décision, au risque de soulever des problèmes éthiques conduisant à interdire leur utilisation.

Enfin, bien que l’IA représente une aide dans la prédiction de la faillite, son efficacité est dépendante de l’analyse par des experts en organisation. La connaissance et la compréhension en profondeur des écosystèmes d’affaires restent en effet indispensable. Elles constituent un pré requis pour construire et interpréter ces outils afin que les décisions prises soient non seulement basées sur des données fiables, mais également fondées sur une vision stratégique et contextuelle.

À l’aune des connaissances actuelles, les modèles d’IA dans la prévision de la détresse financière sont imparfaits mais permettent de réduire l’incertitude des écosystèmes entourant les entreprises. À cet égard, ils peuvent permettre d’améliorer la coordination des acteurs tels que les banques, les régulateurs, etc.

Vanessa Serret, Professor, IAE Metz School of Management – Université de Lorraine et Sami Ben Jabeur, Maître de conférences, ESDES Lyon Business School, Université catholique de Lyon (UCLy)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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