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Les effets du recours aux cabinets de conseil sur l’évaluation des politiques publiques locales – The Conversation

Dans le livre ‘Les Infiltrés’, les enquêteurs révèlent comment les cabinets de conseil privé se sont invités au
coeur des lieux de décisions étatiques, comme à l’Elysée. Ici le salon Murat. Wikimedia/Chatsam

 

Christophe Maurel, IAE Angers et David Carassus, IAE Pau-Bayonne, le 9 mars 2022

L’actualité du livre Les infiltrés montre que le recours aux cabinets de conseil est devenu quasi généralisé dans les administrations pour réaliser des expertises sur des domaines relevant du secteur public.

Ce constat va dans le sens d’un rapport récent sur l’externalisation croissante dans le secteur public par le collectif « Nos services publics », lequel montre des pertes de compétences dans les organisations publiques suite à de nombreuses externalisations de missions d’expertises (par exemple savoir mesurer et évaluer les risques liés à un grand investissement pour une administration ou une collectivité).

C’est particulièrement le cas en matière d’évaluation des politiques publiques. En effet, de par l’extension de leurs compétences et l’accroissement des attentes des citoyens, imposant une plus grande transparence et efficacité dans l’utilisation des deniers publics, les collectivités développent le recours aux évaluations de leurs politiques publiques locales. Si le concept d’évaluation admet des pratiques et des effets divers, on peut alors s’interroger sur les modalités actuelles de mises en œuvre (réalisation par les services internes ou bien externalisation de l’évaluation) et les apprentissages retirés par les organisations commanditaires.

Retour des évalués

À ce titre, nous avons réalisé une étude pour la chaire Optima de l’Université de Pau fin 2018 et près de 400 collectivités locales françaises ont répondu sur leurs pratiques en matière d’évaluation des politiques publiques. Il y ressort des résultats intéressants sur les modalités pratiques d’évaluation et sur les impacts en termes d’apprentissage.

Sur le premier point concernant les modalités, les évaluations sont réalisées dans un tiers des cas par des cabinets extérieurs pour évaluer leurs politiques publiques. Les résultats statistiques montrent que ce sont des évaluations « liées à une obligation légale », « plutôt ponctuelles », avec « des indicateurs liés au besoin du territoire », qui sont associées aux évaluations menées par des cabinets de conseil.

Ce constat suggère que les collectivités recourent à des évaluations de politiques publiques menées par des cabinets dans des situations particulières, complétant le pilotage quotidien. Par exemple une politique d’aide sociale fait l’objet d’une évaluation par un cabinet à un moment donné en réponse à une demande d’un co-financeur, telles l’Union Européenne ou la Caisse d’allocation familiale, et ceci complète des évaluations d’actions locales menées par les services de la collectivité directement.

Sur le second point concernant les apprentissages générés par ces missions, la théorie distingue l’apprentissage culturel (évolution des représentations des acteurs (ici les cadres et agents administratifs, les élus locaux), l’apprentissage cognitif (les connaissances générées et les décisions prises), et l’apprentissage structurel (évolution des processus et fonctionnement de la collectivité).

Dans ce sens, nos résultats montrent que les trois variables statistiquement significatives associées au recours à des cabinets sont sous-tendues par les effets suivants :

  • faire évoluer la culture interne vers une meilleure prise en compte des besoins du territoire ;

  • modifier les objectifs et orientations stratégiques ;

  • faire évoluer la culture interne vers une logique d’amélioration continue (variable avec une influence négative).

Ce résultat suggère que le recours à des évaluations menées par des cabinets favorise de ce fait l’apprentissage culturel (à travers une meilleure prise en compte des besoins du territoire), mais ne permet pas d’apprentissage structurel (absence d’amélioration continue).

Aussi, pour générer des apprentissages dans les collectivités, les évaluations devraient être à la fois plus diverses (menées par des prestataires extérieurs, mais aussi par des services de la collectivité) et plus fréquentes, tendre vers une régularité afin d’engendrer des résultats durables et des aides à la décision.

Créer un service centralisé dédié à l’évaluation des politiques locales

Ces résultats suggèrent aussi qu’il est important, quand ce n’est pas le cas, de créer un service centralisé dédié à l’évaluation des politiques locales, idéalement rattaché au directeur général des services, pour éviter les dépendances avec les directions métiers. Associée à une plus grande implication des différents acteurs (agents administratifs et personnel politique), des apprentissages structurels seraient alors possibles.

Cette préconisation d’un service dédié à l’évaluation des politiques locales milite ainsi pour une internalisation des compétences évaluatives. Le fait d’externaliser les missions d’expertise entraine en effet progressivement une perte de compétences (lien vers le site nosservicepublics.fr) et une difficulté pour « revenir en arrière » si la collectivité souhaite faire mener ensuite une évaluation par ses propres services, par manque de ressources humaines et financières.

Or, sans service évaluation ou conseil de gestion, cela signifie souvent la reconstruction entière de compétences ou de savoir-faire perdus pour l’organisation publique, ce qui s’avère d’autant plus délicat que l’externalisation est ancienne.

Le recours à des prestataires externes entraîne en conséquence une perte de savoir-faire de la puissance publique, incapable de mettre en œuvre de façon autonome nombre de ses politiques publiques. L’illustration au niveau national correspond au marché conclu avec des cabinets de conseil pour mettre en œuvre la stratégie nationale de vaccination contre le Covid-19, au moment même où disposer d’une administration de la santé était le plus nécessaire. Au niveau local, l’exemple actuel d’une grande collectivité de l’ouest de la France engagée dans une démarche environnementale qui a dû demander à un groupement d’entreprises de réaliser l’évaluation de ses investissements environnementaux n’ayant pas les compétences en interne.

En outre, l’évaluation réalisée par des services de la collectivité permet une méthodologie « sur mesure » de la démarche alors qu’un cabinet propose souvent une méthodologie robuste mais standardisée, bien qu’adaptable à la marge. Cette adaptation de la démarche évaluative au contexte interne et externe de la collectivité nous semble favoriser les apprentissages possibles des connaissances produites par la démarche évaluative. Il apparait donc que la réappropriation de l’évaluation est un élément important pour favoriser les effets attendus, avec des évaluations plus régulières menées par la collectivité, portant sur l’ensemble des politiques publiques, avec des formats courts privilégiant l’aide à la décision stratégique. Ces dernières peuvent ensuite être complétées par des évaluations menées à un moment spécifique par des cabinets spécialisés venant réinterroger et/ou approfondir les pratiques évaluatives de la collectivité.


Nicolas Pouzacq a contribué à cet article.

Christophe Maurel, Professeur en sciences de gestion, IAE Angers et David Carassus, Professeur en sciences de gestion, IAE Pau-Bayonne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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