Experts en Management
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Rémi Mencarelli, IAE Savoie Mont Blanc et Dominique Kreziak, IAE Savoie Mont Blanc ,Le 11 mars 2024
Pour lutter contre le réchauffement climatique, est-il efficace de sensibiliser les citoyens aux enjeux environnementaux et de les inciter à adopter des éco-gestes, souvent qualifiés de « petits gestes » ?
Ces éco-gestes désignent des actions quotidiennes mises en œuvre individuellement par les citoyens afin de réduire leur impact environnemental. Ils peuvent concerner la mobilité quand il s’agit de privilégier le vélo sur des trajets courts ou de ne plus prendre l’avion, les comportements d’achat en valorisant les biens d’occasion ou les produits locaux. Cela peut aussi affecter le logement en réduisant la température du domicile, en préférant les douches plutôt que des bains, ou encore en collectant l’eau de pluie. Si les formes sont extrêmement variées, l’objectif est le même : réduire l’impact environnemental des citoyens.
Compte tenu de l’ampleur et de la rapidité des changements engendrés par la crise climatique, cette politique des petits gestes est régulièrement questionnée. Tout d’abord, ils se déploient à une échelle individuelle et risquent de n’avoir qu’un impact relatif sur la planète. Ainsi, un engagement volontariste de tous les citoyens ne permettrait de réduire que d’environ un quart les impacts carbone de la France.
De plus, ils s’inscrivent dans une logique de responsabilisation individuelle, faisant peser sur les épaules des seuls citoyens l’enjeu des changements qui concerne la société dans son ensemble.
Pourtant, dans un travail de recherche récent consacré à l’adoption de comportements zéro déchet, nous avons observé que ces petits gestes ne sont pas si anodins. Il ressort de notre étude, portant sur 24 participants d’un programme de sensibilisation au zéro déchet, que ces éco-gestes permettent d’enclencher un cercle vertueux. En effet, chez l’ensemble des participants, une constellation de petits gestes émergent, se multiplient au fil du temps et s’articulent entre eux afin de réduire les déchets ménagers, et ce dans différentes sphères de la vie domestique.
Ainsi, tous les participants interrogés adoptent un premier éco-geste en choisissant bien souvent celui qui leur semble le plus accessible ou celui qui aura le plus d’effet sur la quantité de déchets générés. Il peut s’agir d’acheter en vrac, de composter ou encore de s’engager dans des pratiques de récupération. Puis, ils indiquent – tous – spontanément comment cette première action les amène à mettre en œuvre rapidement d’autres actions destinées à limiter la production de déchets.
Pour certains, l’engagement dans une démarche zéro déchet s’est initialement traduit par la volonté de réduire l’achat de produits alimentaires suremballés. Ils décident alors de réaliser de plus en plus de repas faits à la maison. Cette nouvelle habitude les amène à privilégier l’achat de produits bruts pour cuisiner et favorise alors l’essor de l’achat en vrac.
Très vite, l’achat en vrac incite les individus à garder des contenants (pots, bocaux et bouteilles indispensables pour acheter et stocker les produits en vrac). Ils s’engagent donc dans des pratiques de récupération qu’ils envisagent alors souvent d’étendre à d’autres sphères de leur vie quotidienne, comme, par exemple, la récupération de l’eau usée ou de l’eau de pluie pour arroser le jardin.
Parallèlement, la multiplication des repas faits maison génère des biodéchets, ce qui conduit certains participants à développer une pratique du compost. D’autres participants, eux, relatent comment la pratique de l’achat de produits alimentaires en vrac les a conduits à acheter des copeaux de savon de Marseille et du bicarbonate de soude afin de fabriquer – dans un esprit do-it-yourself – leur lessive, ce qui les a également amenés à des pratiques de récupération (bidons, bocaux) afin de stocker la lessive, une fois celle-ci fabriquée.
L’achat du bicarbonate de soude conduit également de nombreux participants à l’utiliser pour la fabrication d’autres produits ménagers ou cosmétiques, comme le produit vaisselle ou le dentifrice. Cette multi-utilisation est d’autant plus aisée qu’ils ont acquis de l’expérience leur permettant de manipuler cet ingrédient.
Ainsi, des relations vertueuses entre ces petits gestes favorisent la diffusion de la démarche zéro déchet dans de nombreuses sphères de la vie quotidienne des citoyens. Si les trajectoires de déploiement sont différentes d’une personne à l’autre, au fil du temps, les citoyens qui s’impliquent dans le zéro déchet développent une véritable constellation de petits gestes. Peu à peu, ils modifient en profondeur leur façon de consommer.
Certes, la réduction des impacts environnementaux de la consommation et de la production ne saurait passer par la seule responsabilisation des individus, exonérant par la même occasion les autres acteurs de leurs responsabilités. Toutefois, nos résultats – dans le contexte du zéro déchet – permettent de nuancer les critiques récurrentes formulées à l’encontre des politiques des petits gestes.
Souvent présentés de manière isolée, ils apparaissent en réalité comme un système de comportements interreliés, qui se soutiennent entre eux. Loin d’être inutiles, ils sont à envisager dans une perspective dynamique : un premier comportement accessible, ne nécessitant que peu d’efforts, constitue pour nos répondants une porte d’entrée efficace pour envisager ensuite des changements comportementaux plus profonds.
Nos résultats montrent ainsi que le changement comportemental est possible et loin d’être anecdotique. Ces petits gestes offrent en réalité une voie concrète et accessible d’engagement dans un style de vie globalement plus vertueux.
L’exemple de l’adoption progressive et dynamique de la démarche zéro déchet constitue une inspiration pour enclencher concrètement d’autres modifications d’habitudes de consommation, telles que le passage à une alimentation moins carnée ou l’adoption de pratiques de mobilité douce afin de « prendre sa part » pour atteindre les objectifs des accords de Paris.
Enfin, l’adoption de modes de vie plus vertueux est souvent présentée comme l’apanage des classes sociales favorisées. Or, l’entrée dans un mode de vie plus respectueux de l’environnement par le zéro déchet n’est pas nécessairement liée à des dépenses supplémentaires. Cela peut constituer – au contraire – une source d’économie importante pour les citoyens, comme le soulignent d’ailleurs certaines communes très impliquées.
Rémi Mencarelli, Professeur des Universités en marketing, IAE Savoie Mont Blanc et Dominique Kreziak, Maîtresse de conférences en sciences de gestion IREGE Université Savoie Mont Blanc, IAE Savoie Mont Blanc
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.