image

Experts en Management




La motivation des professionnels de santé dépend aussi du style de leadership – The Conversation

Delphine François-Philip de Saint Julien, Institut Supérieur de Management – IAE de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et Aline Courie-Lemeur, Institut Supérieur de Management – IAE de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, Le 30 juin 2024

La motivation ne se décrète pas. Elle se crée. Shutterstock-Anton Vierietin

Le champ de la santé en France a connu au cours de ces dernières décennies de nombreuses réformes dans une perspective de modernisation du service public de santé, de rationalisation des dépenses et d’amélioration de l’offre de soins. Il est confronté à de multiples défis : pénurie chronique des ressources financières et humaines spécialisées, nécessité d’une prise en charge globale et pluridisciplinaire des cas médicaux complexes, attentes « exigeantes » de la part des patients en matière de qualité et de satisfaction…

Or, le champ de la santé fait face à un « désenchantement » des différents acteurs, tant de la part des malades que des soignants, caractérisé par une dégradation des conditions de travail, une réduction continue de l’offre de soins, une tension constante du système hospitalier, des injonctions contradictoires qui provoquent du stress professionnel pour le personnel soignant.

Les dispositifs de coordination médico-sociale en santé puisent leurs origines dans les « réseaux de santé » qui se sont développés au début du XXe siècle pour faciliter la prise en charge des tuberculeux. Au cours des années 1970, ont émergé des réseaux dédiés à la prise en charge des malades psychiatriques puis des personnes âgées. Par la suite, le concept s’est étendu à d’autres pathologies (sida, toxicomanie, soins palliatifs, cancérologie, diabète, etc.). Depuis la loi sur l’organisation et la transformation du système de santé (OTSS) du 24 juillet 2019, les dispositifs d’appui à la coordination (DAC) ont pris la relève des réseaux de santé pour améliorer la prise en charge des personnes cumulant diverses difficultés médicales et médico-sociales et aux besoins de santé complexes.

Les sources de l’autorité

Au sein de ces structures et dispositifs de santé, [notre étude] qualitative réalisée entre 2015 et 2020, auprès d’une cinquante d’acteurs des réseaux de santé, nous a conduit à analyser le lien entre le style de leadership et la motivation des personnels de santé. Le leadership renvoie aux notions d’influence et de pouvoir, où il se présente comme un processus à travers lequel un individu va influencer l’action d’un groupe pour mieux atteindre ses objectifs.

L’autorité d’un leader peut avoir différentes sources de légitimité traditionnelle, charismatique ou rationnelle-légale pour reprendre les catégories énoncées par Max Weber. Elle repose sur des ressources formelles mais aussi sur des ressources informelles comme la maîtrise d’une ou de plusieurs zones d’incertitude : les relations avec l’environnement, le contrôle des informations, un degré de compétence et/ou l’utilisation de règles institutionnelles ou organisationnelles, ont expliqué Michel Crozier et Edward Friedberg.

La persistance d’un pouvoir hiérarchique

Dans le champ de la santé en France, comme dans tout le secteur public, le leadership des décideurs institutionnels relève principalement d’un « leadership de droit » lié à une autorité formelle générant un lien de subordination. Sa légitimité et son pouvoir découlent surtout des sources institutionnelles et du pouvoir hiérarchique. Cela s’accompagne par des normes et des formes organisationnelles pyramidales, centralisées et descendantes, avec des typologies de management classique systématisant l’action et hiérarchisant la relation entre les acteurs, selon un principe de « command and control ».

Un « leadership de droit » aboutit à un « leadership autoritaire », directif et unilatéral. Les autorités sanitaires telles que l’Agence Régionale de Santé (ARS) adoptent un style de leadership directif avec les structures et dispositifs de coordination médico-sociales. Les projets de restructuration concernant ces derniers sont construits d’une manière unilatérale par les autorités sanitaires et sont imposés d’une manière descendante aux différents acteurs, compte tenu de l’organisation du schéma sanitaire français, ce qui génère un sentiment d’injonction auprès d’eux.

« Avec l’ARS, c’est comme dans l’armée, ce sont eux qui décident et nous qui devons obéir sans broncher […] c’est de l’injonction, ou au moins au sein du réseau, on la voit comme ça ! »

Reconnaissance par les pairs

Or, pour réussir à initier des transformations et restructurations efficientes des organisations de santé, un « leadership de fait » parait mieux adapté qu’un « leadership de droit ». Un « leadership de fait » émane exclusivement des qualités du leader et de la reconnaissance par les autres de ses caractéristiques les poussant à le suivre volontairement. C’est sa capacité à adopter un style de leadership évolutif, lui permettant de s’adapter à une situation donnée qui va conditionner l’atteinte des objectifs et les résultats d’une organisation. Ce leadership devient, de ce fait, situationnel. Au-delà des qualités et des traits de la personnalité que possèderait une personne lui permettant de se démarquer des autres et de gouverner, c’est son comportement vis-à-vis des acteurs l’entourant qui lui permettra de s’imposer comme central.

Au sein d’une organisation, le style de leadership peut certes être représenté au sein d’un continuum, entre un style autoritaire et un style non directif. Mais la question de la pertinence du style de leadership, en fonction de la « maturité » des acteurs, au sens de Hersey et Blanchard est, de fait, primordiale. N’étant pas définie comme un état d’équilibre atteint par l’individu, comme un plein développement physique, intellectuel et affectif, la « maturité » d’un acteur est fonction de deux éléments : son niveau de compétences, ses savoirs, savoir-faire et savoir-être ; et son niveau de motivation, d’énergie qu’il est prêt à mettre en œuvre dans l’exercice de son travail. Quatre niveaux de maturité sont possibles :

  • Un niveau M1 correspond à des individus, possédant peu de maturité, peu compétents, peu motivés : ils possèdent un niveau de compétences faible pour le poste occupé, ils connaissent peu ou pas les exigences relatives à leur poste et sont peu motivés. Le leader situationnel adopte un style plutôt directif : il prescrit des directives et consignes précises, prend les décisions, contrôle l’exécution des tâches et les résultats obtenus, ne laisse pas de marge de manœuvre, d’autonomie ;

  • Un niveau M2 correspond à des individus possédant une maturité moyenne/faible, peu compétents mais motivés : ils maîtrisent un peu mieux les exigences relatives à leur poste, leurs compétences sont faibles mais ils sont motivés. Le leader situationnel adopte un style persuasif : il fournit un soutien, favorise les bonnes relations interpersonnelles, accompagne de nombreuses explications les raisons et conséquences des objectifs qu’il a fixés, encourage l’individu et l’équipe ;

  • Un niveau M3 correspond à des individus possédant une maturité moyenne/élevée, peu motivés mais compétents : ils maîtrisent leur poste, connaissent les exigences attendues mais ont un niveau de motivation faible. Le leader situationnel adopte un style participatif : il favorise les échanges d’une équipe compétente mais peu motivée, écoute et prend en compte les avis, cherche à créer une ambiance conviviale ;

  • Un niveau M4 correspond à des individus possédant une maturité élevée, à la fois compétents et motivés dans leur travail. Le leader situationnel adopte un style délégatif : il n’est pas nécessaire d’expliquer les objectifs, les tâches à réaliser dans une équipe compétente et motivée. Il la laisse travailler de façon autonome, sans avoir à contrôler et à encadrer.

L’importance de la situation

Le dirigeant d’une structure ou d’un dispositif de santé tend à adopter plusieurs styles de leadership en fonction de la situation et notamment un style directif, un style persuasif, et occasionnellement un style participatif. Par exemple, le directeur de la structure ou du dispositif de santé adopte un style directif lorsqu’il s’agit de décisions stratégiques ou en lien avec les autorités sanitaires : il prend les décisions, prescrit des consignes précises et informe les membres de l’équipe des décisions prises.

« Il est clair que les décisions pour l’orientation du réseau et ses choix stratégiques dépendent de moi et des présidents du réseau. L’équipe, je l’informe de nos choix, c’est tout. »

Il parait très orienté sur la communication lorsqu’il faut développer des collaborations avec d’autres organisations sanitaires du territoire pour améliorer la prise en charge du patient, ou lorsqu’il cherche à développer des alliances pour améliorer son pouvoir de négociation auprès des autorités de tutelles. Son style de leadership s’avère, de ce fait, persuasif.

« J’ai réussi à négocier avec l’ARS et à les convaincre de nous financer un nouveau poste de médecin. Nous sommes le seul réseau du territoire qui a un poste d’Assistante sociale, car j’ai su convaincre les grands chefs à l’ARS. »

Concernant les décisions en lien avec le fonctionnement de l’équipe, le directeur cherche à créer une ambiance conviviale et favorise les relations interpersonnelles. Il adopte alors parfois un style participatif.

« On ne peut être que dans une démarche participative si on veut collaborer ensemble. Nous avons créé un groupe de travail commun, avec des gens de chez eux et de chez nous, pour construire des outils communs. »

Des équipes pluridisciplinaires

Par ailleurs, le niveau de maturité des collaborateurs dans les structures et dispositifs de santé se situe entre les niveaux M3 et M4. En effet, la composition pluridisciplinaire des structures et des dispositifs de santé et la spécialisation de ses membres font que la compétence dans le domaine de la prise en charge du patient est forte. Le collaborateur détient les connaissances, les savoir-faire et les savoir-être nécessaires. Il sait utiliser ses connaissances de base ou ses expériences antérieures pour assurer la coordination des soins autour du patient. Sa motivation est globalement forte, en raison du sens qu’il donne à son travail (service au patient et à la société) bien qu’elle puisse être mise en difficulté par le manque de moyens à sa disposition pour mener sa mission de soignant.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Mais sa motivation peut être fragilisée par un sentiment d’incompréhension de son travail, par un conflit avec le directeur de l’organisation ou par les projets de changements continus qui s’imposent à lui du fait des autorités sanitaires. Il pense que les autorités sanitaires ne se rendent pas compte de la réalité des besoins sur le terrain et que toutes les tentatives pour les leur expliquer depuis plusieurs années n’ont jamais abouti.

Des évolutions réglementaires complexes à saisir

Enfin, concernant les évolutions réglementaires, les projets de restructurations et les expérimentations initiés par les autorités sanitaires, le collaborateur dans une structure ou un dispositif de coordination en santé attend que les informations lui viennent de l’extérieur, et notamment du manager. Il faut qu’on lui dise ce qu’il faut faire.

« Pour tout ce qui concerne les projets de l’ARS, je ne sais pas grand-chose, c’est xxxx (directeur) qui s’occupe de ça. Quand il y a une chose nouvelle importante, il nous l’explique. »

« On n’y peut rien de toute façon ; ça ne changera rien. »

Les professionnels de la santé dans ces structures sont globalement compétents grâce à leur formation. Toutefois, leur motivation peut être fluctuante : elle sera tantôt forte en raison du sens donné à son travail et tantôt faible, du fait du manque de moyens mis à leur disposition, de perceptions d’injonctions paradoxales, voire aussi en raison de conflits avec la stratégie choisie par le directeur de la structure ou du dispositif de coordination en santé.

Delphine François-Philip de Saint Julien, Maître de Conférences en Sciences de Gestion – Habilitée à diriger des recherches (HDR), ISM-IAE Versailles Saint Quentin, Laboratoire de Recherche en Management (LAREQUOI), Institut Supérieur de Management – IAE de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et Aline Courie-Lemeur, Maître de Conférences en Gestion – Habilitée à diriger des recherches (HDR), Institut Supérieur de Management – IAE de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Actus associées

Comment Kate Middleton est devenue le symbole des nouvelles formes...

20 novembre 2024

Maria Mercanti-Guérin, IAE Paris – Sorbonne Business School, Le 18 Novembre 2024 La guerre de l’information que se livre la famille royale et la presse anglaise ne date pas d’hier....

En savoir plus

État et collectivités territoriales : une décentralisation encalminée, des relations dégradées...

19 novembre 2024

Jean-Christophe Fromantin, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne; Carlos Moreno, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Didier Chabaud, IAE Paris – Sorbonne Business School, Le 17 novembre 2024 Le 106e Congrès des Maires...

En savoir plus

Voir tout