Depuis sa création en 2013, sous François Hollande, la French Tech s’est déployée comme un véritable outil en faveur de l’innovation à la française. Si les licornes tricolores restent une espèce trop rare, l’initiative reprise et amplifiée a eu de nombreux effets, dont certains inattendus.
« La French Tech », soit la politique publique visant à développer un « mouvement français des start-up technologiques innovantes », vient de fêter ses 10 ans. Une belle occasion pour revenir sur le bilan et les perspectives de cette initiative. À sa naissance, en 2013, l’objectif de La French Tech était de « tout faire pour que les prochains Google naissent et se développent ici, en France et en Europe ! ».
Dix ans plus tard, si le fanion de La French Tech rassemble plusieurs dizaines de milliers de start-up, réparties à travers 114 « communautés » et « capitales » en France et à l’international, force est de constater que certains regrettent le manque de champions français. Entre les attentes initiales et l’évolution dans le temps de cette politique publique, la French Tech présente aujourd’hui des résultats intéressants pour l’écosystème entrepreneurial français… qui ne se trouvent probablement pas où nous les attendions.
Faire émerger des « Tech champions »
La French Tech n’entend pas stimuler la création de n’importe quel type d’entreprises. Elle a pour objet d’intervention les start-up, des jeunes entreprises innovantes qui reposent sur l’usage d’une technologie nouvelle, la perspective d’une forte croissance et un besoin de financement important. La French Tech s’inscrit dans une vision schumpétérienne de l’économie, qui fait de l’innovation l’« éperon » de la croissance économique et de l’entrepreneur le « déclencheur » du changement technologique. Elle porte un discours ambitieux, qui vise à faire émerger des « champions internationaux », des « Tech Champions », des « start-up de niveau mondial » pour faire de la France une « Start-up Nation ».
Si la French Tech aspire à encourager la création et la croissance des start-up, cette politique publique labellise avant tout des territoires. Il est fait choix d’une stratégie de territorialisation de l’action publique, portée par une « équipe de France des écosystèmes numériques métropolitains ». L’objectif est alors d’irriguer le territoire français, afin que l’on suscite localement la création de start-up, tout en renforçant l’image de la France à l’international.
Une politique de territorialisation
La French Tech n’est d’ailleurs pas la première initiative gouvernementale à reposer sur la territorialisation de l’action publique en matière d’entrepreneuriat innovant. Plusieurs interventions publiques avaient déjà mené – entre autres – à la création des pôles de compétitivité en 2004, des instituts de recherche technologique (IRT) en 2011, ou encore des sociétés d’accélération du transfert des technologies (SATT) en 2012.
Ce n’est pas, non plus, la première initiative européenne du genre. Au début des années 2010, de nombreux gouvernements à travers le monde ont fait le choix de politiques publiques visant à soutenir l’entrepreneuriat innovant, comme, par exemple, la « Tech City » au Royaume-Uni en 2010, l’« Industry 4.0 » en Allemagne en 2011 ou encore l’« Italian Startup Act » en Italie en 2012. Le dépôt à l’INPI de la marque publique « La French Tech » et la parution en novembre 2013 du dossier de présentation de La French Tech signent le début de l’intervention étatique française, focalisée sur trois leviers d’intervention : la mobilisation des écosystèmes métropolitains, l’accélération de la croissance des start-up et le renforcement de l’attractivité internationale de la France.
Des start-up, une nation… Mais pas de « start-up nation »
Il est intéressant d’observer une évolution significative de La French Tech dans son contenu et ses pratiques, passant d’une initiative focalisée sur les « Tech Champions » à la création d’une dynamique ouverte, voulue fédératrice plus que sélective. Au fur et à mesure du temps, la French Tech est ainsi devenue le substantif de l’écosystème entrepreneurial innovant français : au-delà d’une politique publique, la « French Tech » désigne aussi l’ensemble des start-up françaises et des acteurs qui gravitent autour de leur croissance.
Dès lors, force est de constater que le « Tech » de « French Tech » renvoie aujourd’hui à des réalités multiples. La French Tech ne se limite pas aux start-up qui connaissent les plus fortes croissances (ex : les start-up du « Next 40/120 ») ou les plus fortes valorisations (ex. : les 30 « licornes » françaises valorisées à plus d’un milliard d’euros en 2024). Ces entreprises, destinées à devenir des « leaders de rang international », représentent d’ailleurs une infime partie des 27 730 start-up recensées par La French Tech en 2024.
La French Tech ne se contente pas, non plus, de stimuler le développement des innovations radicales et de rupture (ex. : les « Deep Tech »). Il est plutôt fait choix d’une politique d’ouverture, qui puisse toucher tous les secteurs (ex. : « GreenTech », « AgriTech », « Health Tech », etc.), tous les types d’innovation (des plus frugales aux plus radicales) et tous les entrepreneurs.
Un écosystème franco-français
La disparité des start-up créées, fédérées, accompagnées et/ou stimulées par La French Tech en matière d’innovation est peut-être exacerbée par le décalage entre le discours porté par l’acteur public (« Soutenir le développement d’entreprises technologiques de rang mondial en capacité d’apporter des solutions aux grands enjeux de société ») et la réalité de l’écosystème entrepreneurial français… qui reste encore franco-français.
En 2016, la part des capitaux levés en capital-risque dans l’écosystème entrepreneurial français par des investisseurs étrangers représentait 14,3 % des 1,808 milliard d’euros levés. En 2023, sept ans plus tard, ils représentaient 17 % des 3,649 milliards d’euros levés. Si le progrès est réel, on reste loin d’une internationalisation marquée et continue. On constate également que les levées de fonds restent menées, dans de très grandes proportions, par des acteurs institutionnels français (92 % des levées de fonds en 2023), à l’image de BPI France, l’un des opérateurs historiques de La French Tech.
Une culture entrepreneuriale stimulée
Pour autant, on observe aujourd’hui des résultats tangibles pour l’écosystème entrepreneurial français, qui restait encore « balbutiant » en 2013 et présenté comme « un pays doté d’une faible culture entrepreneuriale ». Celui-ci s’est d’abord doté d’une marque publique, particulièrement visible à l’international – notamment lors des salons comme le CES de Las Vegas, le WebSummit de Lisbonne ou VivaTech à Paris – et auprès des acteurs du territoire français (métropoles, régions, incubateurs et accélérateurs, etc.).
L’écosystème entrepreneurial s’est ensuite étoffé, en s’appuyant progressivement sur un réseau de 48 « Capitales French Tech » et « Communautés French Tech » sur le territoire, et de 66 « Communautés French Tech à l’international » dans le monde. Il s’est aussi agrandi, en passant – entre autres – de 9 400 start-up référencées en 2016 à plus de 27 730 en 2024. Soit un quasi triplement !
Il s’est enfin mobilisé, non plus sous la forme d’une opposition vis-à-vis de l’acteur public – cristallisée successivement par le « mouvement des pigeons », l’intervention du ministre de l’Économie pour annuler le rachat de Dailymotion par Yahoo, puis les « Assises de l’entrepreneuriat » – mais dans l’animation d’un mouvement collectif, pensé pour et par les entrepreneurs.
Un véritable fanion
Manifestement, le véritable succès de La French Tech ne réside pas dans le fait de poser la France en « start-up Nation » – un terme probablement galvaudé, dévoyé et surutilisé. Ce n’est pas, non plus, par l’explosion du nombre de ses « Tech Champions » que La French Tech se démarque, dix ans après le lancement de cette politique publique.
En revanche, la marque publique « La French Tech » est devenue le porte-étendard de l’écosystème entrepreneurial innovant français. À travers cette marque ombrelle, La French Tech semble parvenir à faire coexister les intérêts des entrepreneurs et de l’État, en les rendant non seulement complémentaires mais aussi interdépendants. Tandis que l’État joue le rôle d’un État inspirateur et catalyseur de l’activité de la scène entrepreneuriale « Tech » française, les entrepreneurs, eux, deviennent de véritables ambassadeurs de la French Tech. Un jeu à somme positive s’est créé entre les entrepreneurs et l’État qui permet à l’acteur public de stimuler le dynamisme des start-up françaises – dans une logique de course internationale à la souveraineté –, et aux entrepreneurs de profiter d’instruments incitatifs qui sont valorisés par l’ensemble de l’écosystème entrepreneurial.
Si l’effet de levier de La French Tech reste malgré tout difficile à mesurer, l’appropriation et le ralliement massif des acteurs de l’écosystème à la marque « La French Tech » entretiennent le dynamisme de la scène entrepreneuriale innovante française. Dans l’évolution et le succès de La French Tech, le plus important reste peut-être la création d’une dynamique collective, suffisamment fédératrice pour continuer d’être porté à la fois par l’État et les entrepreneurs, dix ans après sa création.
Timothée Gomot, ATER PhD in Management, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Didier Chabaud, Directeur de la Chaire entrepreneuriat Territoire innovation, Professeur en sciences de gestion – SRM/LAB IAE Paris-Sorbonne, IAE Paris – Sorbonne Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.