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Industrie du tabac : des investissements toujours florissants malgré les conséquences délétères sur la santé – The Conversation

Jérôme Caby, IAE Paris – Sorbonne Business School et Pierre-Yves Lagroue, IAE Paris – Sorbonne Business School, le 1er février 2022

Selon d’Organisation mondiale de la santé (OMS), la planète compte 1,3 milliard de consommateurs de tabac et ils devraient toujours être 1,25 milliard en 2025.

Cette faible diminution peut surprendre si l’on considère les conséquences néfastes et avérées de la consommation de tabac sur la santé (plus de 8 millions de morts chaque année dans le monde), les politiques de santé publique pour endiguer sa consommation (interdiction de la publicité, taux de taxation très élevés – plus de 82 % du prix public en France –) ou encore les coûts induits par sa consommation en termes de dépenses de santé supérieures aux taxes récoltées.

Un marché étonnamment stable

Bien que les politiques anti-tabac se développent et se renforcent au travers du globe et en dépit des effets collatéraux négatifs en termes de santé publique et d’environnement, le marché demeure étonnamment stable. Selon l’institut d’études privé Xerfi, le marché mondial du tabac représentait en 2020 environ 1000 milliards de dollars (toutes taxes comprises), dont 744 pour les seules cigarettes, un chiffre en légère progression depuis 2017 en valeur même si les volumes eux diminuent. Cette évolution reste néanmoins sujette à de fortes disparités géographiques.

Le marché mondial est aujourd’hui dominé par cinq acteurs : China National Tobacco (43,6 % de part de marché en volume, essentiellement en Chine où la société détient une part de marché monopolistique de 97 %), Philip Morris International (États-Unis, 13,9 %), British American Tobacco (Royaume-Uni, 12,2 %), Japan Tobacco (Japon, 8,5 %) et Imperial Brands (Royaume-Uni, 3,5 %). Les majors internationales ont diversifié récemment leurs activités en direction de produits dits à « risque réduit », comme les systèmes de tabac à chauffer ou les vapoteuses, voire en intégrant de nouveaux secteurs d’activité comme la pharmacie ou le cannabis.

Ainsi, en 2020 les produits à « risque réduit » de Philip Morris représentaient 24 % de son chiffre d’affaires (contre 14 % en 2018) et son président-directeur général, Jacek Olczak, appelait à interdire les cigarettes dans les 10 ans dans le cadre de la stratégie de son groupe : « un monde sans fumée ».

En 2021, Philip Morris a également annoncé le rachat du fabricant britannique d’inhalateurs médicaux Vectura, dont les produits sont utilisés pour traiter les conséquences délétères de la consommation de cigarettes, pour 1,3 milliard d’euros… Une des grandes batailles des cigarettiers est d’ailleurs aujourd’hui consacrée à la reconnaissance du statut spécifique des produits à « risque réduit » pour obtenir une taxation moins élevée, quand bien même l’OMS conteste énergiquement le caractère réduit de ces risques.

Des marges et des dividendes au plus haut

Compte tenu des conséquences néfastes de la consommation de tabac, on peut légitimement se demander si la situation financière des cigarettiers n’en souffre pas. Or, bien au contraire, leurs marges d’exploitation restent très confortables. Cet indicateur, ratio du bénéfice avant intérêts et impôts (EBIT) par rapport au chiffre d’affaires, s’élève pour 2020 à 17,7 % pour Imperial Brands et même à 43,5 % pour British American Tobacco. À titre de comparaison, les marges d’exploitation sont, en moyenne, plus élevées de 12 points qu’au sein du S&P 500, l’indice boursier qui regroupe 500 grandes entreprises américaines, tous secteurs confondus.

On note même une amélioration au cours du temps et aucun impact négatif de la pandémie. Cela permet d’ailleurs à ces entreprises de verser des dividendes très généreux : 7,4 milliards de dollars pour Philip Morris, 6,5 milliards pour British American Tobacco, 2,6 milliards pour Japan Tobacco et 2,3 milliards pour Imperial Brands en 2020.

Des investisseurs peu regardants

En ces temps où l’investissement socialement responsable (ISR) et les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) semblent devenus incontournables pour les gestionnaires d’actifs, on pourrait également imaginer que l’industrie du tabac serait progressivement écartée des stratégies d’investissement des investisseurs institutionnels. Le tableau apparaît pourtant, là encore, beaucoup plus nuancé.

Les investisseurs institutionnels représentent en effet l’essentiel de leurs actionnaires, à l’exception de Japan Tobacco dont l’État japonais détient 37,6 %. Si l’on prend les cinq plus importants gestionnaires d’actifs mondiaux, on constate que les américains Blackrock et Vanguard, et dans une moindre mesure State Street, sont très présents dans le capital des cigarettiers, tandis que Fidelity et surtout l’allemand Allianz s’en tiennent éloignés.

On mesure ainsi, au-delà des discours volontaristes, le chemin qui reste à parcourir vers une généralisation de l’ISR et des critères ESG dans l’industrie de la gestion d’actifs.

Un investissement pourtant peu rentable

C’est d’autant plus curieux qu’investir dans le tabac ne semble rétrospectivement pas une très bonne affaire en comparaison du S&P 500 (même si l’évolution en intégrant les distributions de dividendes reste moins mauvaise).

Il faut croire que les promesses d’un « monde sans fumée » des cigarettiers et les caractéristiques addictives des produits demeurent plus convaincantes que les appréciations de l’OMS sur les dangers des produits à « risque réduit ».

Jérôme Caby, Professeur des Universités, IAE Paris – Sorbonne Business School et Pierre-Yves Lagroue, Maitre de conférences en sciences de gestion, IAE Paris – Sorbonne Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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