image

Experts en Management




Gendarme, policier, agent pénitentiaire, vigile : les forces de sécurité en compétition pour (bien) recruter – The Conversation

Joan Le Goff, IAE Paris-Est et Faouzi Bensebaa, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières, Le 3 mars 2025

Gendarme, policier, agent pénitentiaire, vigile, policier municipal… la palette des métiers de la protection publique et privée qui cherchent à recruter est vaste. Le contexte tendu du marché français de l’emploi entraîne des difficultés quant à la quantité et la qualité des recrues. Une situation qui peut potentiellement soulever des risques en matière de compétences ou de sécurité intérieure.


En 2007, le réalisateur états-unien Martin Scorsese obtenait l’Oscar du meilleur film pour les Infiltrés dans lequel un policier entrait sous couverture dans une organisation mafieuse. Cette situation classique se trouvait compliquée par la présence symétrique d’un criminel au sein des forces de l’ordre. Si personne n’a repéré cet ennemi intérieur, c’est parce que, de façon audacieuse mais ingénieuse, il s’est fait recruter tout à fait normalement, en passant les épreuves d’admissibilité, puis les tests d’admission et, enfin, en suivant le parcours de formation à l’école de police.

C’est de la fiction, pourrait-on penser. Pourtant, en octobre 2024, le journaliste Guillaume Daret alertait sur la manière dont, en France, les réseaux criminels placent leurs recrues parmi les gardiens de prison en les faisant postuler aux concours de recrutement de l’administration pénitentiaire. En cas de succès, les activités illicites peuvent perdurer sans mal.

Cette situation illustre combien le recrutement est un sujet déterminant pour les forces de l’ordre. Il est au cœur de notre analyse du marché de la sécurité.

Des besoins de recrutement en forte hausse

Les forces de l’ordre sont confrontées depuis plusieurs années à de forts besoins de recrutement. Cela tient à la fois à de nouveaux postes ouverts, mais aussi et surtout à des départs, soit liés à la retraite des personnels, soit du fait de désirs de reconversion. Dans sa dernière analyse de l’exécution budgétaire, la Cour des comptes constate que les effectifs quittant la gendarmerie nationale ou la police nationale sont en croissance.

En 2023, 11 274 gendarmes sont partis de leur institution (+20 %) tandis que 8 660 départs affectaient la police nationale (+39 % en quatre ans). Ces chiffres considérables restent d’actualité. Peu d’organisations subissent une telle pression : la Cour des comptes estime que la gendarmerie doit recruter l’équivalent de 15 % de son nombre total de personnel rien que pour couvrir les départs chaque année ! Ainsi, en 2023, le nombre de nouveaux entrants programmés était de 12000 pour la gendarmerie et de 7 000 pour la police.

Pour autant, police nationale et gendarmerie ne peuvent à elles seules couvrir tous les besoins. Elles sont désormais complétées par une autre institution publique : la ou plutôt les polices municipales qui, depuis la loi du 15 avril 1999 qui les encadre juridiquement, ont connu un développement ininterrompu, devenant un partenaire inévitable, malgré un positionnement équivoque, entre police de proximité réinventée ou supplétif des forces nationales. Ce qui est certain, c’est qu’elles aussi recrutent, parfois avec difficultés : les déboires de la Ville de Paris en sont un exemple manifeste, celle-ci étant loin de ses objectifs.


Abonnez-vous dès aujourd’hui !

Que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez notre newsletter thématique « Entreprise(s) » : les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts.


Des acteurs privés très sollicités

En parallèle, face aux demandes exponentielles de surveillance et de contrôle d’accès dans les aéroports, dans les centres commerciaux, dans les gares et dans tous les espaces ouverts au public, les forces privées sont sollicitées pour répondre à des besoins peu ou pas couverts par les moyens publics. Les vigiles sont devenus des silhouettes du quotidien, signe sans doute un peu déprimant d’une société qui a besoin de tout protéger, même ce qui est a priori sans valeur (locaux caritatifs, écoles…).

Ces acteurs composent un secteur dont les effectifs ont nettement augmenté en France (plus de 180 000 agents). Les épisodes de violences urbaines qui ont marqué plusieurs mouvements sociaux récents (gilets jaunes, émeutes de juin 2023) ont renforcé la demande de protection privée. Enfin, la menace terroriste lancinante a tragiquement montré qu’elle peut frapper partout, des salles de concert aux terrasses de café.

Dès lors, tout le monde veut des vigiles, pour éviter les vols, empêcher les intrusions, décourager les violences, prévenir les dégradations – et ce, le jour, la nuit, la semaine, le week-end, les jours fériés. Sans surprise, les embauches dans le secteur peinent à suivre.

L’événement exceptionnel qu’ont constitué les Jeux olympiques et paralympiques de Paris a mis en lumière les problématiques spécifiques à ce secteur, avec des tensions palpables en amont et qui perdurent aujourd’hui, en dépit de l’incontestable réussite sécuritaire de cet évènement.

Une qualité de recrutement altérée ?

Cette pression sur les recrutements de la sécurité publique et privée s’exerce alors même que le marché global de l’emploi connaît des tensions et que de nombreux secteurs peinent à pourvoir les postes qu’ils proposent, comme le bâtiment, l’industrie, la logistique ou la restauration.

Concrètement, les impacts sont multiples. En premier lieu, les postes mis au recrutement ne sont pas tous pourvus et il n’est pas rare que la réalisation de leur schéma d’emplois par les institutions publiques ne soit pas effective ou que des entreprises de sécurité renoncent à des contrats faute de recrues.

En deuxième lieu, les responsables du recrutement finissent par ajuster leurs critères d’admission. Cela concerne le dossier des candidats, mais également leurs performances à des épreuves intellectuelles ou physiques – la baisse des notes éliminatoires aux concours nationaux est un sujet sensible sinon tabou.

Le Monde, 2021.

La multiplicité d’acteurs en concurrence frontale pour identifier et séduire des candidats crée une hiérarchie de fait, avec des institutions plus désirées que d’autres et de réels problèmes quantitatifs et qualitatifs pour celles en fin de liste. Toutes briguent les mêmes profils et doivent développer des moyens d’attirer des jeunes demandeurs d’emploi. Les employeurs les moins convoités doivent s’adapter quitte, parfois, à se montrer plus compréhensifs dans la lecture des critères d’embauche…

Des pistes de solutions

Chaque institution développe des approches distinctes. La gendarmerie a ainsi lancé en octobre 2022 une vaste campagne de marketing institutionnel autour du slogan « Une même flamme nous anime ». Un coup de jeune esthétique pour relancer les vocations et moderniser un fonctionnement parfois jugé trop traditionnel.

D’autres misent sur les revalorisations indemnitaires (police nationale) ou les équipements et les conditions de travail (polices municipales). L’échec notoire de la capitale à se doter d’une police municipale suffisante tient justement à l’incapacité à proposer un cadre d’emploi attractif : absence d’armes à feu, contraintes horaires rédhibitoires, missions imprécises et peu valorisantes. Le prestige d’une affectation à Paris a été largement surestimé.

Autre piste envisagée : recruter plus de femmes. En effet, si, avec 22 % des effectifs, la part des femmes dans les polices municipales est très proche de celles des forces étatiques, au sein des équipes des entreprises privées de sécurité ou des forces intégrées à des entreprises (sites sensibles, transports), les hommes demeurent fortement majoritaires.

L’estimation de 15 % de femmes, fréquemment citée, semble légèrement surévaluée et portée par la nécessité réglementaire de confier à des femmes fouilles et palpations du public féminin dans les zones aéroportuaires ou lors d’évènements sportifs ou culturels. Cette « faible féminisation » (selon la litote de l’ancien ministre de l’intérieur, constitue un problème moral et une piste pour améliorer le recrutement, en termes quantitatifs et qualitatifs.

Une faille sécuritaire ?

Accrus par la multiplication des recruteurs, l’apparition de nouveaux besoins de sécurisation et le turn-over élevé des agents de gardiennage, les besoins de recrutement des forces de sécurité publique et privée sont importants. Certains postes sont attractifs, mais beaucoup sont à la fois peu rémunérés et difficiles. Dans ces conditions et face à la tentation d’une moindre exigence pour pourvoir les emplois vacants, deux écueils apparaissent, particulièrement inquiétants.

Certains pointent les risques déontologiques ou éthiques qui peuvent surgir d’un recrutement trop laxiste conjugué à une formation sommaire qui ne peut rattraper les lacunes des profils sélectionnés. La palette des dérives est vaste, englobant des faits allant du manque de respect de l’uniforme ou du trafic d’informations jusqu’à des violences illégitimes ou excessives lors d’interpellations ou d’opérations de maintien de l’ordre. Cependant, il est difficile d’imputer ces dérives exclusivement au recrutement actuel.

Plus grave, des failles sécuritaires peuvent naître de ces embauches rapides de vigiles ou d’agents de l’État. D’aucuns jugent qu’à l’heure d’une menace terroriste attestée et de l’expansion alarmante du grand banditisme, les forces de sécurité peuvent constituer une voie d’entrée à des actions soit par radicalisation, soit par infiltration. Sur ce point, baisser le niveau de contrôle à l’entrée des professions de la sécurité serait dévastateur. Ce qui nous ramène au film de Martin Scorsese et aux problèmes qui peuvent affecter, entre autres, la sécurité carcérale.

Pour sortir de cette impasse – recruter autant avec une moindre exigence ou bien recruter avec exigence, mais en moindre quantité –, la piste technologique est explorée (robots, drones, IA, etc.). Cela reste un palliatif qui ne dispense ni des compétences humaines ni de réflexion éthique sur le sens des missions de sécurité.

Joan Le Goff, Professeur des universités en sciences de gestion, IAE Paris-Est et Faouzi Bensebaa, Professeur de sciences de gestion, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Actus associées

Publication de l’Observatoire de la Recherche en Sciences de Gestion...

24 février 2025

Les sciences de gestion et du management sont largement reconnues pour la qualité de leurs formations et l’insertion professionnelle des très nombreux étudiants concernés, puisque près de 20% de l’ensemble...

En savoir plus

Étudiants, vous êtes suivis ! Quels usages des données personnelles dans...

21 février 2025

Stéphane Bourliataux-Lajoinie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM); Christophe Fournier, IAE Montpellier et Niousha Shahidi, EDC Paris Business School, Le 11 février 2025 Les étudiants sont-ils bien conscients que...

En savoir plus

Voir tout