Depuis de longues années, la finance verte fait son chemin. De nombreuses possibilités d’investir dans des produits financiers verts existent désormais en France. Si les Français déclarent largement que l’impact de leurs placements sur l’environnement est une question d’importance, il n’en reste pas moins que la part dédiée aux investissements responsables dans leur épargne demeure modeste. Alors que 75 % des Français considèrent que l’effet de leurs placements sur l’environnement est un sujet d’importance, 57 % des détenteurs de fonds responsables ont investi moins d’un quart de leur épargne dans ces fonds selon une enquête Opinionway réalisée pour l’Autorité des marchés financiers). Par ailleurs, si les Français ont une appétence pour l’épargne verte, ils privilégient néanmoins la dimension financière à la dimension durable dans leurs choix d’investissement (Le Cercle des épargnants, février 2024, p. 15). Cet écart entre les intentions et les actes interroge quant aux motivations sous-jacentes aux choix d’investissement.
Notre article, récemment publié, étudie les motivations des investisseurs individuels pour réaliser des placements verts. Au-delà des motivations financières extrinsèques bien identifiées dans la littérature académique (Riedl and Smeets, 2017, Anderson and Robinson, 2021 ou encore Døskeland & Pedersen, 2016), il est envisageable que des motivations de nature plus intrinsèques interviennent. Nous avons étudié dans quelle mesure la volonté de « faire le bien » des individus participe du choix d’investir dans des fonds verts.
Trois voies pour faire le bien
À cette fin, nous avons identifié trois voies par lesquelles il est possible d’exprimer sa volonté de faire le bien. En premier lieu, certaines personnes choisissent de s’engager activement pour améliorer le monde. Elles souhaitent avoir une empreinte positive sur l’environnement et la société et pensent que leurs investissements verts ont un impact positif. C’est ce que l’on peut qualifier d’agir pour le bien (acting for good). En deuxième lieu, certains individus se soucient sincèrement du bien-être des autres et de la planète. L’on parle en ce cas d’altruisme (volonté d’être bon, « being good »). En troisième lieu, enfin, certains retirent du plaisir (« feeling good »), ressentent une émotion positive en faisant le bien (ces émotions positives sont généralement appelées « warm glow »).
Bien que certaines facettes aient déjà été identifiées, notre article étudie pour la première fois simultanément l’effet de ces trois dimensions de la volonté de faire le bien – “agir pour le bien”, “être bon” et “se sentir bien” – sur la décision réelle d’investir dans des fonds verts. Il s’appuie sur les données issues d’un échantillon de 2 288 investisseurs français, âgés d’au moins 25 ans et ayant au moins 500 euros investis en fonds actions, collectées par la société Panelabs entre décembre 2021 et janvier 2022. L’investisseur moyen a 47 ans, dispose d’un revenu net moyen de 3 334 € par mois et, en moyenne, d’un portefeuille de 8 893 € investi en actions. Une grande partie, environ deux tiers des répondants, ont des enfants, et les femmes représentent 46,4 % de l’échantillon.
Un investisseur est considéré comme « vert » s’il a placé au moins 500 € dans un fonds dit « vert foncé » (« dark green ») au sens du règlement européen SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation, 2019/2088). Ces fonds, appelés fonds « article 9 », ont pour objectif unique de réaliser des investissements durables sur le plan environnemental. Les motivations des investisseurs (« acting for good », « being good » et « feeling good ») sont mesurées par des questions sur des échelles à 7 points. Nous étudions l’effet de ces variables sur la décision d’investir.
La puissance de l’altruisme
Nos résultats montrent que la volonté d’impact (« acting for good ») et l’altruisme (« being good ») exercent tous deux un effet important sur la décision d’investir, tandis que la dimension émotionnelle (« feeling good ») n’en a pas. La variable qui a le plus de portée est l’altruisme, qui a un effet bien supérieur à celui de la volonté d’impact. Être bon (« being good ») est donc clairement la motivation intrinsèque la plus forte pour les personnes qui investissent dans des fonds d’action vert.
Dans notre analyse, nous contrôlons pour plusieurs caractéristiques individuelles (âge, genre, niveau d’éducation, parentalité, niveau de connaissances financières, niveau d’informations sur les fonds verts, horizon de placement, revenu net et valeur du portefeuille d’actions investi) et trouvons que le fait d’être une femme, d’avoir un horizon d’investissement à long terme et d’avoir des enfants influence également positivement la décision d’investir dans un fonds vert. Cela laisse à penser que les investisseurs les plus orientés vers l’avenir et les plus tournés vers les autres, sont ceux les plus susceptibles d’investir dans un fonds vert.
Pour affiner ces résultats, nous avons examiné l’influence de ces orientations vers l’avenir et vers les autres en divisant l’échantillon en fonction de l’âge, de l’horizon d’investissement, des enfants et du sexe. Seuls les investisseurs plus jeunes avec un horizon d’investissement plus long et ayant des enfants considèrent que l’impact (« acting for good ») est important dans leur décision d’investir dans des fonds verts. Ceci atteste d’un effet modérateur de l’orientation future sur la volonté de faire le bien lors de la décision d’investissement vert.
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L’altruisme (« being good ») a toujours un effet significatif alors que le sentiment de bien-être (« feeling good ») l’est fort peu. Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que le facteur le plus important et le plus robuste pour expliquer la décision d’investir dans des fonds verts est l’altruisme.
Des motivations non financières
Notre article souligne donc le rôle des motivations non financières dans la formation du comportement d’investissement vert. L’absence d’effet des émotions positives (« warm glow », « feeling good ») sur les décisions d’investissement vert est notable. Cela suggère que, contrairement aux études précédentes indiquant que les récompenses émotionnelles influencent l’investissement durable, dans un contexte d’investissement réel, les considérations rationnelles de l’impact et les motifs altruistes semblent conduire les décisions d’investissement plus que la gratification émotionnelle. Ces résultats appellent à l’intégration d’une dimension environnementale dans les modèles de décision habituels en finance.
Par ailleurs, notre recherche a des implications pratiques pour les vendeurs de fonds : cibler des clients altruistes, qui font déjà des dons à des organisations caritatives, pourrait permettre de doper l’investissement vert en actions en France. De plus, la communication sur l’impact positif des fonds environnementaux pourrait être un moyen de motiver les individus orientés à long terme à investir et ainsi contribuer à la transition vers une économie soucieuse de la dimension écologique. Cependant, le secteur de la gestion d’actifs devrait utiliser l’argument vert avec prudence, car les controverses sur l’écoblanchiment nuisent à la perception de l’impact de tels fonds.
Fabrice Hervé, Professeur en Finance, IAE Dijon – Université de Bourgogne et Sylvain Marsat, Professeur en Finance, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.