Experts en Management
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Les étudiants sont-ils bien conscients que la personnalisation et donc l’efficacité des cours qui leur sont proposés en ligne reposent sur l’analyse de leurs données personnelles ? Regard sur les résultats d’une enquête et les défis qu’ils soulèvent.
Pendant la pandémie de Covid-19 et la période de confinement, c’est devant leurs ordinateurs que les étudiants ont poursuivi leur formation, activant parfois leur caméra lors des cours à distance, participant aux conversations, partageant leurs écrans de personnels…
Ces pratiques leur ont fait prendre conscience de l’utilité des plates-formes de cours en ligne. Cependant, l’efficacité de ces plates-formes – plébiscitée là par les étudiants – repose sur l’analyse de leurs données de connexion. Or, c’est un aspect du fonctionnement des formations en ligne qui échappe souvent aux utilisateurs.
Les étudiants sont maintenant plus sensibles à la question de la gestion de leurs données personnelles. Mais leurs perceptions de leur usage sont-elles liées à la façon dont ils évaluent la qualité d’un cours ? Cette question est importante dans la mesure où le refus de ces outils de tracing remettrait en cause toute l’efficacité des plates-formes de cours en ligne.
Rappelons d’abord que la pédagogie en ligne se fonde sur un accès scénarisé à des séances de cours, avec un suivi très précis, nominatif, des connexions et des usages faits sur la plate-forme par les étudiants. Ces outils sont regroupés sous la dénomination de learning analytics.
Un enseignant va ainsi programmer son cours en créant des séquences pédagogiques qui s’enchaînent selon une série de règles. Par exemple, le chapitre 5 du cours ne peut apparaître à l’écran que si un étudiant a suivi les quatre premiers chapitres et a obtenu au moins 12/20 au quiz qui conclut le chapitre 4. Ou encore s’il a bien déposé en temps et en heure un devoir à rendre, s’il a participé à un forum, etc.
La plate-forme va appliquer les règles de fonctionnement qui permettront à un étudiant de progresser à son rythme. Cette pseudo-personnalisation permet ainsi de proposer un rythme de travail qui s’adapte aux contraintes des participants. Comment ceux-ci jugent-ils l’usage de leurs données ?
Nous nous sommes penchés sur cette question dans un travail quantitatif auprès d’étudiants de master, mené dans le sillage d’un atelier organisé par AUNEGe et l’Université Paris-Saclay, en juillet 2022. La qualité des cours y a été mesurée selon trois dimensions : la qualité de l’information, la qualité du système et la qualité du service proposé. Ces différents aspects sont-ils tangibles pour tous les apprenants, quel que soit leur profil ?
Nous avons distingué trois profils d’étudiants : les enthousiastes, les sceptiques et les récalcitrants, les premiers attribuant les plus hauts scores aux trois dimensions évoquées ci-dessus. Les « sceptiques » constituent une classe d’apprenants globalement satisfaits de l’usage des cours en ligne, mais pour lesquels les avantages personnels sont moins clairement identifiés, notamment parce qu’ils ne réalisent pas bien qu’ils sont tracés.
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Les « enthousiastes » estiment que l’apport d’un cours dont le rythme s’adapte à leur besoin est un réel élément positif ; le traçage de leur comportement n’est pas un problème, bien au contraire, ils jugent que c’est un plus pour optimiser leur charge de travail.
Enfin, les « récalcitrants » sont les insatisfaits du processus. Leur appréhension de la gestion des données personnelles est relativement faible, mais ils ne perçoivent pas vraiment non plus le bénéfice du cours en ligne.
Les « enthousiastes », soit les étudiants les plus conscients du traçage des données nécessaires au bon fonctionnement de la formation, nous renvoient à la notion de privacy paradox, qui montre comment un utilisateur qui ne souhaite a priori pas donner accès ses informations personnelles (ou être suivi dans sa navigation) revoit sa position s’il perçoit un bénéfice direct et individuel à ce processus. Ce résultat met en évidence l’intérêt du learning analytics et de son usage pour la planification pédagogique du cours.
Il serait intéressant de présenter, principalement aux « récalcitrants », des retours d’expériences d’étudiants ayant suivi des cours hybrides. Cela permettrait d’améliorer les notes obtenues. Il est aussi important d’insister sur la méthodologie de travail nécessaire à l’alternance d’un enseignement en ligne à un enseignement en face-à-face. Les étudiants de cette classe souffrent notamment de la lenteur d’exécution de la plate-forme.
L’optimisation d’un cours en ligne passe par une approche learning analytics. Cette condition, indispensable à l’usage d’une plate-forme en cours, repose entièrement sur l’acceptation du traçage par l’étudiant, mais elle se heurte fréquemment à l’application de la réglementation. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et privacy sont donc deux facettes indispensables, bien que souvent négligées, à la bonne analyse de la satisfaction à un cours en ligne.
Ainsi, un enseignant doit tout autant informer ses étudiants de l’utilité des données captées pour personnaliser son cours que de la réglementation RGPD et ainsi s’assurer du consentement des participants. Cette notion est encore bien souvent négligée par les institutions de formation. La pérennisation d’une modalité pédagogique ne peut se faire contre la volonté des étudiants.
Il importe de trouver un équilibre entre learning analytics, privacy et RGPD. S’il faut être vigilant sur l’interprétation des données et leurs biais, le learning analytics peut être un moyen de repérer les difficultés des étudiants et de leur proposer des interventions ciblées.
Les plates-formes doivent obtenir un consentement explicite des étudiants avant de collecter leurs données et veiller à ce que ces données ne soient pas utilisées à des fins autres que celles initialement convenues. Le paradoxe entre les exigences du RGPD et les besoins du learning analytics représente un défi complexe pour les institutions éducatives.
Stéphane Bourliataux-Lajoinie, Professeur des Universités, Marketing Digital, ICSV-EPN15, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM); Christophe Fournier, Professeur des Universités, IAE de Montpellier, Montpellier Recherche Management, Membre du Business Science Institute, Président AUNEGe, IAE Montpellier et Niousha Shahidi, Full professor, data analysis, EDC Paris Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.