Experts en Management
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Les familles Agnelli et Peugeot ont joué un rôle clé dans la création, l’évolution du groupe Stellantis et… la démission de Carlos Tavares. Une actualité économique qui met en lumière les jeux d’acteurs et de pouvoir dans la gouvernance des entreprises multinationales.
Novembre 2024. De fortes divergences éclatent à la tête du groupe Stellantis. Le conseil d’administration du quatrième constructeur automobile à l’échelle mondiale convoque son directeur général Carlos Tavares et le contraint à démissionner.
Quelles sont les raisons de cette situation, alors que le groupe enregistrait un chiffre d’affaires, bénéfice net et free cash flow record pour l’année 2023 ? Quel est le rôle joué par les familles Agnelli et Peugeot dans cette décision historique ?
Notre étude met en lumière le rôle clé joué par les familles Agnelli, à l’origine de Fiat, et Peugeot dans la gouvernance de Stellantis, dès sa création. Leur influence perdure : elles contrôlent aujourd’hui respectivement 14,4 % et 7,2 % du capital social.
Face aux difficultés de l’industrie automobile européenne, notamment dans le domaine des véhicules hybrides et électriques, Stellantis connaît une situation financière qui s’est fortement dégradée, avec une chute de 27 % du chiffre d’affaires au troisième trimestre 2024.
Ce contexte de crise conduit à de fortes divergences concernant les orientations stratégiques et managériales du groupe. Elles opposent notamment Carlos Tavares à John Elkann, héritier désigné de la famille Agnelli. Ce dernier s’oppose aux objectifs de croissance externe et de performance fixés par le directeur « cost killer » de Stellantis, en mettant en avant l’intérêt de l’ensemble des parties prenantes. Verdict : le conseil d’administration convoque son directeur général et le contraint d’annoncer sa démission.
Pour cette période de transition, John Elkann prend la direction du comité exécutif intérimaire jusqu’à la nomination d’un nouveau directeur général en 2025. Il nomme Richard Palmer, un fidèle de Fiat, en special adviser. Ce changement inattendu reflète le poids des familles Agnelli et Peugeot dans la gouvernance du groupe automobile, notamment de « John le conquérant ».
Les tensions actuelles peuvent s’expliquer par le rôle joué par les familles Peugeot et Agnelli dans la création du groupe.
Avant la fusion intervenue en 2021, FCA (Fiat Chrysler Automobiles) était en pourparlers avec PSA (Peugeot Société Anonyme) et Renault. Les discussions entre Michael Manley, directeur général de FCA, et Carlos Tavares, président du directoire de PSA, s’arrêtent lorsque FCA propose une fusion à 50/50 avec Renault à son conseil d’administration. Ce dernier rejette le projet envisagé. Un premier coup d’épée dans l’eau.
Par la suite, les familles Peugeot et Agnelli reprennent les discussions. Robert Peugeot propose d’abord une acquisition de FCA, puis une fusion à 50/50 à John Elkann. Le petit-fils de Giovanni Agnelli refuse les deux projets, craignant la dilution des intérêts de sa famille. Michael Manley et Carlos Tavares reprennent les négociations et le projet de fusion à 50/50 est finalement approuvé par John Elkann et Carlos Tavares. Il est validé par le conseil de surveillance de PSA et le conseil d’administration de FCA. Le 4e constructeur automobile mondial est né.
Cette opération de concentration crée un mastodonte industriel. Les entreprises participantes sont valorisées à hauteur de 45 milliards d’euros. Stellantis hérite d’un portefeuille de 16 marques automobiles. Le groupe bénéficie de forts ancrages territoriaux à la fois en Europe et aux États-Unis. Une aubaine dans un marché fortement concurrentiel.
Dès la création du groupe Stellantis en janvier 2021, la famille Agnelli est le premier actionnaire du groupe en détenant 14,4 % du capital social de la société holding. Une position de force utile pour peser sur les décisions. Les autres actionnaires principaux sont la famille Peugeot à hauteur de 7,2 %, l’État français (via Bpifrance) à hauteur de 6,2 % et l’entreprise chinoise Dongfeng Motor à hauteur de 5,6 %. Une clause spécifique autorise la famille Peugeot à racheter les titres détenus par Dongfeng Motor, qui avait prévu de se désengager, et une partie des titres de Bpifrance. L’objectif : permettre aux deux holdings familiales Agnelli et Peugeot de disposer d’une part de capital équivalente. Malgré ces modalités, la répartition équilibrée du capital entre les deux familles n’a jamais vu le jour.
En cohérence avec la distribution du capital, les principaux actionnaires siègent au conseil d’administration de Stellantis : deux membres de la famille Agnelli, John Elkann « le conquérant » et son cousin Andrea Agnelli, Robert Peugeot, et le directeur général de la BPI Nicolas Dufourcq. John Elkann en devient le président et Carlos Tavares le directeur général. Cette nouvelle gouvernance et les orientations stratégiques de la direction installent une ère de prospérité pour le groupe Stellantis.
Ces jeux d’acteurs et de pouvoir pourraient marquer la gouvernance future du quatrième constructeur automobile mondial.
Aujourd’hui, John Elkann préside le comité exécutif intérimaire. Richard Palmer son conseiller spécial est l’ancien directeur financier de Fiat Chrysler Automobiles puis de Stellantis avant son départ en 2023. Parmi les autres candidats à la succession de Carlos Tavares, on trouve également Michael Manley, ancien directeur général de Fiat Chrysler Automobiles et directeur des Amériques de Stellantis avant son départ en 2021.
Un retour annoncé de l’ancienne équipe dirigeante de Fiat Chrysler Automobiles, composée de John Elkann, Richard Palmer et Michael Manley ?
Ulrike Mayrhofer, Professeur des Universités à l’IAE Nice et Directrice du Laboratoire GRM, Université Côte d’Azur et Giulio Cesare Giorgini, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles, Université Côte d’Azur
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.