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Délais de paiement en Europe : les PME, grandes perdantes – The Conversation

Ydriss Ziane, IAE Paris – Sorbonne Business School, 29 Juillet 2024
 
« Vendre c’est bien, se faire payer c’est mieux. »

C’est un adage bien connu des entreprises de toute taille. Pour le consommateur final, nul débat : hormis quelques ventes à crédit, il faut régler ses achats dès le passage en caisse, au comptant, pour repartir avec, sous peine d’être poursuivi pour filouterie. Les délais de paiement n’existent pas la grande majorité du temps. Dans le monde des affaires entre entreprises, les choses sont différentes et plus complexes. Le crédit interentreprises est une pratique ancienne et courante qui concerne des opérations indispensables et récurrentes entre clients et fournisseurs.

Deux formes de crédits interentreprises peuvent coexister : d’une part, l’avance ou acompte reçu par le vendeur et versé par l’acheteur avant la livraison pour sécuriser sa commande et s’assurer de sa bonne exécution. D’autre part, le crédit fournisseur lorsque le paiement n’a pas lieu au moment de la livraison, mais plus tard, ce qui fait naître, pour le vendeur, une créance sur son client et, pour l’acheteur, une dette vis-à-vis de son fournisseur. On parle d’actif et de passif « circulant ».

D’une durée de quelques jours à plusieurs mois, le prêt du fournisseur au client doit permettre à ce dernier d’abord, de vérifier la juste quantité et la bonne qualité des biens reçus, ce qui n’est pas toujours réalisable au moment de la livraison. C’est le motif dit « transactionnel ». Ensuite, c’est un moyen offert par le vendeur pour soulager la trésorerie de son client, motif « financier », en attendant qu’il encaisse les recettes du bien final.

Les délais accordés divergent sensiblement selon la position des entreprises, le secteur d’activité, l’importance de la transaction, la rareté du bien, la nature et l’ancienneté des relations commerciales et donc, en somme, les rapports de force entre l’acheteur et le vendeur. Par exemple, les entreprises du commerce de détail, dont la grande distribution, sont les mieux placées pour bénéficier de ce crédit gratuit perpétuellement renouvelé, leurs fournisseurs leur offrant des délais de paiement de plusieurs mois alors que leurs clients paient comptant en caisse. Il en résulte une trésorerie pléthorique pour ces entreprises bénéficiaires dont le cycle d’exploitation est largement financé par d’autres entreprises déficitaires. Placée, cette trésorerie génère des intérêts élevés.

Les grandes entreprises en profitent

Au niveau agrégé, selon l’Insee, en 2022, la somme des quatre postes comptables liés aux crédits interentreprises des sociétés françaises représentaient 2 000 milliards d’euros, dont 1 003 milliards à l’actif et 997 milliards au passif. Tout sauf un jeu à somme nulle pour des millions d’entreprises qui se classent en deux catégories : les entreprises qui profitent des délais de paiement et celles qui les subissent. Les premières sont privilégiées par une aisance permanente de trésorerie. Elle se passent ainsi d’utiliser des solutions bancaires coûteuses comme le découvert ou l’affacturage, à l’inverse des secondes dont la trésorerie est structurellement déficitaire en raison des délais de paiement accordés et des retards de paiement subis.

La question devient particulièrement préoccupante lorsque l’on sait que ce sont principalement les micros et les petites et moyennes entreprises, soit les plus fragiles, qui sont contraintes d’accorder des crédits à leurs clients plus qu’elles n’en reçoivent de leurs fournisseurs. Les grandes entreprises, à l’inverse, connaissent les taux de respect des délais de paiement contractuels les plus faibles dans toute l’Europe. En moyenne, les grandes entreprises sont 37,6 % à payer leurs factures sans retard, contre 46,2 % pour les moyennes firmes, 53,8 % pour les petites et 57,3 % pour les microentreprises, un constat sans appel.

Au jeu des rapports de force interentreprises, le déséquilibre est donc majeur alors même que ce sont les plus petites entreprises qui ont le moins accès aux crédits bancaires et aux marchés financiers. Le différentiel entre les micros et les grandes entreprises atteint près de 20 % pour tous les pays européens. La France est, avec les Pays-Bas, la plus mal classée avec un écart de 40,4 points.

Des volontés de légiférer

Pour lutter contre cette situation préjudiciable pour les PME, la législation a évolué pour mieux sanctionner les abus. La médiation du crédit a été créée en 2008, au cœur de la crise, pour accompagner les entreprises qui y sont confrontées.

Le Code de commerce précise, de son côté, que le délai de paiement ne peut dépasser 60 jours et que les mauvais payeurs encourent une amende pouvant atteindre 2 millions d’euros, en plus du versement d’une indemnité forfaitaire de 40 euros par facture pour frais de recouvrement au bénéfice du créancier. Les amendes ont été nombreuses ces derniers temps : 33,5 millions d’euros en 2022 puis 58,4 millions en 2023, soit une hausse de 75 % (pour un nombre de procédures qui n’a augmenté que de 19 %) à la suite d’un plan de contrôle national renouvelé de la DGCCRF qui a notamment épinglé Renault, Ikea, Arcelor Mittal, Eurodisney, Suez ou encore la Banque HSBC. Les entreprises épinglées sont désormais tenues de communiquer publiquement sur leurs comportements de mauvais payeurs, en plus de se retrouver « à l’affiche » sur le site de la DGCCRF.

Reste qu’avec ou sans « name and shame », la situation ne semble pas s’être améliorée puisque l’Observatoire des délais de paiement note une certaine tension en 2023 et appelle à une stricte vigilance.

C’est dans ce contexte que les autorités européennes, par la voix de Thierry Breton, ont dévoilé en septembre dernier une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne pour imposer un délai de paiement de 30 jours, deux fois plus court que celui en vigueur en France, ainsi qu’une augmentation des indemnités forfaitaires à 50 euros, ceci sans aucune possibilité de dérogation sectorielle.

Face aux lobbies

Ce projet de règlement a donné lieu en France à une puissante levée de boucliers des organisations professionnelles représentant principalement des grandes entreprises. Celles-ci ont jugé la mesure des 30 jours « impossible à mettre en œuvre » et plaidé pour un assouplissement significatif sous la forme de dérogations sectorielles et contractuelles.

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La proportion d’entreprises exerçant (systématiquement ou parfois) le droit à réclamer l’indemnité pour frais de recouvrement et les compensations prévues n’est pourtant que de 39 % pour la France contre 44 % pour l’Allemagne et 47 % pour la moyenne européenne. Les (petites) entreprises françaises sont les plus réticentes d’Europe à faire la démarche de poursuivre leurs mauvais payeurs devant les tribunaux pour réclamer réparation.

Ce lobbying proactif des plus forts semble avoir porté ses fruits, au détriment des plus faibles, puisque le Parlement a voté en avril dernier une version remaniée du texte autorisant des délais de paiement de 60, et même de 120 jours, selon les secteurs d’activité et à discrétion des contractants. Lesdites organisations ont, semble-t-il, convaincu en haut lieu puisqu’Olivia Grégoire, alors secrétaire d’État chargée des PME et du Commerce, estimait que la proposition de Bruxelles devait « être retravaillée ».

Pourtant, les chiffres sont sans équivoque, selon le dernier rapport de l’Observatoire des délais de paiement, sans aucun retard de paiement, les trésoreries des microentreprises gagneraient 4 milliards d’euros, celles des PME 11 milliards et celles des entreprises de taille intermédiaire 2 milliards. En face, les trésoreries des grandes entreprises se verraient amputer de 13 milliards et celles des entreprises du secteur public de 4 milliards.

Ydriss Ziane, Maître de conférences, IAE Paris – Sorbonne Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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