Experts en Management
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Elodie Jouny-Rivier, ESSCA School of Management; Aurélie Hemonnet, IAE Aix-Marseille Graduate School of Management – Aix-Marseille Université et Cyrielle Vellera, Université Toulouse 1 Capitole, Le 8 avril 2024
Vous avez participé à un concours en ligne de crowdsourcing avec une idée géniale… Mais voilà, quelques semaines plus tard, vous recevez un e-mail vous annonçant que votre idée n’a pas été sélectionnée. Dans ces conditions, quelle image aurez-vous de la marque qui a organisé le concours ? C’est à cette question que notre étude a voulu répondre. Pour cela, nous avons interrogé des participants qui ont perdu à des challenges de crowdsourcing, avec pour ambition de comprendre les conséquences du rejet des idées sur la relation entre les participants et les marques.
Le concept a été popularisé en 2006 par Jeff Howe, chroniqueur pour le magazine nord-américain spécialisé dans l’innovation numérique Wired, où il a signé l’article emblématique « The Rise of Crowdsourcing ». Ce terme est désormais aussi utilisé en France, même si la Commission générale de terminologie et de néologie propose de parler de « production participative ». Quel que soit le terme retenu, il désigne le fait, pour une marque, de faire appel à la créativité et à l’intelligence collective de personnes extérieures à une organisation. L’objectif ? Résoudre un problème ou proposer des idées innovantes.
Un nombre croissant d’entreprises utilise désormais régulièrement le crowdsourcing pour stimuler leur capacité d’innovation, en lançant des concours ouverts sur des plates-formes en ligne comme Agorize, Open Ideo ou eÿeka. L’existence de ces plates-formes n’est pas un hasard. En effet, le développement de cette pratique a été accéléré par l’apparition puis la généralisation des outils numériques, qui, dans ce domaine comme tant d’autres facilitent la mise en relation de personnes ayant des demandes complémentaires.
Il existe trois grandes familles de production participative : le crowdsourcing de tâches simples qui repose sur la collecte de données et la génération de contenus (par exemple, l’OpenStreetMap, TxtEagle), le crowdsourcing de tâches complexes qui repose sur la résolution de problèmes techniques et requiert une certaine expertise (la mise à jour du système open source Linux, les projets de R&D proposés par NineSigma) et le crowdsourcing de tâches créatives, dites « artistiques » qui favorise la génération d’idées.
Pour les marques qui y recourent, le crowdsourcing est un moyen rapide, peu coûteux et efficace de bénéficier des connaissances et de l’expérience de contributeurs parfois experts. Il favorise l’engagement des clients participants qui se sentent écoutés et reconnus par la marque. Mais il comporte aussi des limites. Certes, le ou les porteurs des projets retenus seront satisfaits. Mais toutes les autres idées seront mécaniquement rejetées, ce qui peut frustrer et démotiver les participants. Le risque est grand de voir les recalés avoir une image dégradée de la marque qu’ils aimaient a priori. Pour éviter ces désagréments, les initiateurs des opérations doivent anticiper les effets du rejet.
Nos recherches se sont intéressées à la façon dont les participants perçoivent ces réponses négatives. À cet effet, nous avons interrogé plus de 100 perdants à des concours orchestrés par des marques sur des plates-formes en ligne.
Nos résultats ont montré que le rejet des idées avait des effets positifs sur les relations entre les participants et la marque. Plus précisément, il a été constaté que le rejet renforçait l’attachement à la marque, le prosélytisme (le fait de parler de la marque aux autres), l’engagement et la fidélité à la marque. Comment expliquer ces résultats quelque peu contre-intuitifs ?
Voici quelques clés de compréhension. Pour répondre aux requêtes proposées par la marque via la plate-forme de crowdsourcing, les participants ont effectué des recherches approfondies pour pouvoir lui proposer des idées en adéquation avec ses valeurs, ce qui peut favoriser le développement de liens de proximité jusqu’à créer un certain attachement à son égard. Notre étude révèle ainsi que cette expérience peut conduire à une meilleure perception de la marque, voire à préférer cette marque . Un des répondants à notre étude indique :
« Le fait de passer beaucoup plus de temps avec la marque m’a permis de mieux la connaître et de la préférer à d’autres. »
Dès lors, se sentant plus impliqués envers la marque, les participants éprouvent davantage l’envie de parler positivement d’elle (prosélytisme) :
« Le fait de travailler sur un produit pour elle, ben oui, c’est de la co-création, du coup on se sent impliqués, on se sent comme prescripteur de la marque ».
De plus, le fait d’appartenir à une communauté de contributeurs aux profils variés, partageant un intérêt similaire le temps du concours, peut également contrebalancer les sentiments négatifs potentiels relatifs à l’échec au concours. Enfin, autre constat : le rejet peut être perçu comme une forme de feedback constructif qui motive les participants à améliorer leurs idées et à continuer à participer à de futurs concours. La plupart des répondants mentionne en effet retourner sur la plate-forme pour voir les autres projets, dont les gagnants :
« Je suis retournée sur la plate-forme, pour voir le candidat qui a gagné et ensuite pour aller voir les autres projets, pour voir les résultats du concours, regarder les vidéos des concepts et des autres équipes. »
À partir de ces constats, nous proposons des recommandations pour les praticiens qui souhaitent organiser des concours de crowdsourcing, en leur suggérant des pistes pour optimiser le processus de sélection des idées et minimiser les risques de déception des participants. Puisque la participation peut être un moyen de renforcer la connaissance d’une marque, de son histoire, l’organisateur gagnera à accompagner les participants tout au long du concours, notamment en leur fournissant des ressources, des conseils et des encouragements. Cela stimulera leur créativité et leur confiance.
À la fin du processus, les résultats du concours devront être communiqués de la manière la plus transparente. Les marques doivent prendre le temps d’expliquer le choix des idées victorieuses en valorisant les gagnants, et en remerciant tous les participants, pour renforcer leur satisfaction et leur fidélité.
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En conséquence, qu’il s’agisse d’un gagnant ou d’un perdant, la marque organisatrice d’un concours de crowdsourcing devra personnaliser le feedback adressé à tous les participants. La plupart du temps, un feedback générique et imprécis est envoyé, sans véritablement expliquer les raisons du rejet de l’idée. Nous suggérons ainsi que les marques envoient une réponse plus personnelle et explicite aux perdants en indiquant les points forts et les points de progrès. Comprendre les raisons pour lesquelles l’idée n’a pas été sélectionnée est en effet motivant pour ces contributeurs afin de favoriser leur participation à des campagnes futures.
La dernière piste que nous suggérons est d’offrir des goodies à tous les participants, y compris les perdants. Recevoir des petites récompenses comme des bons de réductions, des chèques cadeaux ou des points devrait les encourager à participer à de nouveaux concours.
Notre recherche suggère aussi que les plates-formes devraient identifier les contributeurs les plus susceptibles de participer à nouveau à certains concours à partir d’un questionnaire qui leur serait adressé. Ainsi, ces participants plus aguerris auraient davantage de chances de remporter le prochain concours. D’un autre côté, les marques bénéficieraient de propositions de meilleure qualité avec des contributeurs ciblés. Ce serait également un argument commercial fort pour les plates-formes qui pourraient ainsi se targuer de posséder une base de données de contributeurs experts.
Notre étude montre que les marques n’ont « rien à perdre » à se lancer dans des concours de crowdsourcing. Les perdants n’ont aucune intention de leur faire du tort à travers un bouche-à-oreille mal intentionné, ou par le boycott de leurs produits. Toutefois, une condition demeure : les marques doivent se souvenir que le concours ne s’arrête pas une fois l’idée gagnante sélectionnée. Il est important de penser à la stratégie de communication post-annonce, en particulier auprès des perdants, et ce dès le lancement de l’opération.
Elodie Jouny-Rivier, Enseignant-chercheur en marketing, ESSCA School of Management; Aurélie Hemonnet, Full Professor of Management, IAE Aix-Marseille Graduate School of Management – Aix-Marseille Université et Cyrielle Vellera, Maîtresse de conférences, Université Toulouse 1 Capitole
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.