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Comment limiter l’empreinte carbone des Coupes du monde de football ? – The Conversation

Frédéric Lassalle, IAE Dijon – Université de Bourgogne, Le 10 avril 2025

Les compétitions internationales de football polluent, mais surtout du fait du transport des équipes et des supporters. La Fifa, qui a affirmé faire du développement durable une de ses priorités, a pourtant annoncé une démultiplication inédite du nombre d’équipes en compétition et de pays hôtes pour la Coupe du monde de 2026 puis celle de 2030. Au risque d’accroître encore l’empreinte carbone des transports liés au football.


Le 13 février 2025, le Shift Project présentait un rapport de 180 pages consacré à l’impact climatique du football, et en particulier de l’Union des associations européennes de football (UEFA) et de la Fédération internationale de football association (Fifa).

Parmi les nombreux chiffres avancés dans cette étude, on retrouve deux chiffres marquants : 6 % – soit la part des matchs internationaux sous la responsabilité de ces deux organisations, et 61 % – soit la part que ces matchs représentent en termes d’émissions carbone dans le football mondial.

En cause, le déplacement des équipes et surtout des spectateurs. Le rapport explique que, pour la France uniquement, la compétition de football émet 275 000 tonnes de CO2 par an, ce qui correspond à un an de chauffage au gaz pour 41 000 familles.

Comment se décompose l’empreinte carbone du football professionnel. The Shift Project, « Décarbonons le football »

Pourtant, la Fifa a fait du développement durable l’une de ses priorités pour les prochaines années. On pourrait ainsi s’attendre à ce que celle-ci cherche à limiter le nombre de matchs pour limiter les déplacements provoqués par ces manifestations. Mais il n’en est rien.

La Fifa continue de développer ses compétitions

Le nombre d’équipes en compétition pour la Coupe du monde de football n’a cessé de croître : 16 de 1934 à 1978, 24 de 1982 à 1994, 32 de 1998 à 2022.

Pour la Coupe du monde 2026, la Fifa a acté un passage à 48 équipes. Il est désormais possible d’organiser le tournoi tous les deux ans au lieu de quatre, et d’y impliquer plusieurs pays organisateurs – par exemple, le Canada, les États-Unis et les Mexique, pour 2026.

Pour la Coupe du monde 2030, la Fifa envisage ainsi une compétition à 64 équipes, ceci avec pas moins de six pays hôtes différents : l’Argentine, l’Espagne, le Paraguay, le Portugal, le Maroc et l’Uruguay.


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À noter également, l’arrivée de la nouvelle Coupe du monde des clubs à 32 équipes (en remplacement de l’ancienne formule qui comportait seulement sept équipes) aux États-Unis, en juin et juillet 2025. Les équipes qualifiées cette année ne sont pas forcément les championnes des grandes compétitions continentales.

En effet, le Real Madrid, vainqueur de la Ligue des champions – trophée le plus prestigieux d’Europe – sera accompagné de 11 autres équipes européennes, ainsi que de six équipes d’Amérique du Sud, quatre équipes africaines, quatre équipes asiatiques, quatre équipes nord-américaines et une équipe d’Océanie.

Pour aller encore plus loin dans la démesure de ses évènements, le président de la Fifa Gianni Infantino déclarait en mars 2025 vouloir animer la mi-temps de la finale du Mondial 2026 avec un show inspiré par le Super Bowl.

Une stratégie cohérente ?

L’organisation d’événements sportifs de cette échelle contredit l’enjeu à réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour limiter le changement climatique. Le choix d’augmenter le nombre de participants – et ainsi le nombre de matchs à vendre aux partenaires commerciaux – semble être une vision uniquement financière. Une coupe du monde classique à 32 équipes et dans un seul pays émet déjà, selon les estimations de la Fifa elle-même, 3,6 millions de tonnes de CO2.

Mais ce choix est également critiquable d’un point de vue économique. Il est important de rappeler à la Fifa qu’en matière de stratégie des organisations, il existe généralement deux grandes stratégies possibles.

  • La première est la stratégie générique de domination globale par les coûts, où l’avantage concurrentiel obtenu passera par la recherche d’augmentation des volumes de production et, traditionnellement, par la mise en place d’économie d’échelles.

  • La seconde est celle de différenciation, où l’assemblage de facteurs clés de succès va permettre de se démarquer de ses concurrents.

Dans un monde où les ressources sont limitées et vont être de plus en plus difficiles d’accès, la logique d’augmentation des volumes semble être la moins intéressante à long terme. Au contraire, on peut rappeler à la Fifa l’intérêt des modèles de stratégie permettant d’évaluer les avantages concurrentiels d’une entreprise.

L’un de ces modèles, le VRIST, développé par Laurence Lehman-Ortega et ses collègues, se base sur les ressources et compétences de l’organisation qui permettent d’obtenir de la valeur.

Selon ce modèle, les organisations doivent évaluer leurs ressources et compétences au regard de cinq critères clés : la création de valeur : pour une organisation, organiser un événement sportif n’est intéressant que si cet événement intéresse suffisamment de personnes pour en tirer un revenu ; la rareté ; la protection contre l’imitation ; la protection contre la substitution et enfin la protection contre le transfert de la ressource ou de la compétence.

Pour faciliter cette protection, l’organisation peut jouer sur trois leviers :

  • La spécificité : il s’agit de développer pour un client un produit ou service spécifique ;

  • L’opacité des ressources, ou la non-transparence : cette technique permet de garder la recette, si l’on peut dire, secrète ;

  • La complémentarité des ressources : elle permet d’avoir la présence de liens informels entre les aptitudes et ressources qui les protègent. Par exemple, avoir deux wagons dans un train n’est intéressant que si nous n’avons un engin de traction capable de les déplacer. La complémentarité s’évaluera au regard non seulement du nombre de locomotives, mais également en fonction de leurs puissances et du nombre de wagons qu’elles peuvent tracter.

Ce que devrait faire la Fifa

La Fifa aurait ainsi tout intérêt à appliquer cette logique issue de la théorie des ressources en cherchant à rendre ses événements plus rares. Selon cette logique, se diriger vers une coupe du monde tous les deux ans, plutôt que tous les quatre ans, est un non sens.

Elle devrait plutôt chercher à rendre ses ressources et compétences inimitables, non substituables et non transférables, en s’appuyant sur la maîtrise historique, la spécificité de ses compétitions qui se voulaient exclusives en autorisant uniquement les meilleurs équipes du monde à y participer et la complémentarité d’une Coupe du monde des équipes nationales tous les quatre ans avec une Coupe du monde des clubs limitée aux sept champions continentaux tous les ans.

En augmentant le nombre de matchs et de compétitions, l’organisation internationale en charge du football ne protège pas ses ressources et compétences et ne tient pas compte du changement climatique. En fin de compte, le football semble s’exonérer de ses responsabilités environnementales au motif qu’il divertit.

Pour réduire l’impact environnemental des compétitions internationales de football, les auteurs du rapport du Shift Project suggèrent quelques pistes. Les deux principales sont la proximité – limiter les déplacements trop nombreux et trop fréquents en favorisant les spectateurs locaux – et la modération – limiter le nombre de matchs.

Pour le moment, la Fifa semble prendre le chemin opposé, alors que la voie à suivre serait un retour à une Coupe du monde avec moins d’équipes, où des qualifications régionales regagneraient en intérêt, notamment avec la disparition de compétitions comme la Ligue des nations en Europe, qui diluent l’intérêt pour l’épreuve reine.

La proximité des matchs permettrait de jouer sur les rivalités régionales et renforcer l’intérêt des spectateurs, comme lors des matchs Brésil-Argentine ou France-Allemagne.

En définitive, la Fifa devrait chercher à proposer des sommets mondiaux rares, générant une forte attente, plutôt que de proposer des matchs nombreux, mais ennuyeux. C’est un point sur lequel convergent à la fois le rapport du Shift Project et la théorie des ressources.

Frédéric Lassalle, Maître de Conférences en Sciences de gestion, IAE Dijon – Université de Bourgogne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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