Experts en Management
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Beaucoup de consommateurs des villes souhaiteraient pouvoir consommer local. Et une recherche montre que les barrières qui les y empêchent ne semblent pas insurmontables.
La conclusion des négociations de l’accord UE-Mercosur annoncée par Ursula von der Leyen, en attendant sa ratification a largement relancé les inquiétudes concernant la vulnérabilité de l’agriculture française face à la concurrence internationale. Cet accord faciliterait l’entrée de produits agricoles d’Amérique du Sud produits à bas coût et dont il sera, aux dires des opposants à l’accord, difficile de contrôler le bon respect des normes environnementales et sociales de l’Union européenne.
Et si ce contexte était une nouvelle opportunité de faire porter la réflexion sur un renforcement des circuits courts ? Leurs vertus : préserver la souveraineté alimentaire et répondre aux attentes des consommateurs qui souhaitent une alimentation plus locale et durable. Les crises récentes, pandémie ou guerre en Ukraine, ont mis en lumière la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondialisées. Ces événements ont accéléré une prise de conscience collective : consommer local est perçu comme une solution pour réduire notre dépendance à des systèmes alimentaires internationaux complexes et souvent imprévisibles. En 2021, un sondage indiquait que 36 % des Français souhaitent prioritairement trouver des produits locaux dans les supermarchés.
Cette aspiration se heurte néanmoins à de nombreux obstacles, particulièrement en zone urbaine où les contraintes économiques, logistiques et sociales compliquent l’accès à une alimentation locale : les produits véritablement locaux ne représentent qu’environ 2 % de l’offre dans les grandes surfaces.
Comment faire en sorte que l’alimentation locale devienne une pratique accessible à tous ? Notre recherche a été menée à Noisy-le-Grand, commune dense de l’Est parisien qui compte 70 000 habitants, population socialement hétérogène. Malgré son dynamisme économique, les défis liés à l’alimentation locale y sont nombreux. Nous y avons mis en évidence des difficultés structurelles, reflet des problématiques généralisées à l’ensemble des grandes agglomérations françaises.
À Noisy-le-Grand, la demande pour une alimentation locale a beau être manifeste, l’accès à ces produits reste restreint. Trois obstacles principaux peuvent être identifiés.
Il y a tout d’abord le caractère centralisé de la logistique. Les grandes enseignes privilégient des systèmes d’approvisionnement globaux, conçus pour maximiser les économies d’échelle, mais peu compatibles avec une intégration massive de produits locaux. Les populaires marchés locaux se fournissent également principalement auprès de grossistes, limitant la disponibilité des produits locaux authentiques. Marion, cadre de 31 ans, résume ainsi la difficulté :
« Les choses ont légèrement évolué mais l’offre reste toute de même limitée. Pour réaliser ses courses pour une semaine en produits locaux, il faudrait se rendre dans plusieurs magasins. Cela prend du temps. »
Malgré leurs intentions, les consommateurs urbains conservent par ailleurs des habitudes d’achat rigides : ils effectuent encore l’essentiel de leurs achats alimentaires dans les hypermarchés, où les produits locaux sont rares. Ces habitudes logistiques, renforcées par une routine bien ancrée, limitent les explorations vers des circuits courts. De nombreux consommateurs ignorent l’existence de points de vente locaux, même lorsqu’ils sont situés à proximité immédiate de leur domicile. Ils disposent de nombreux commerces de proximité, mais ceux proposant des produits locaux sont peu visibles ou éloignés des itinéraires habituels des consommateurs.
Enfin, des barrières économiques et cognitives demeurent. Les produits locaux sont souvent perçus comme plus chers et les consommateurs expriment souvent leur frustration face à un paradoxe : prêts à privilégier des produits de qualité, leurs contraintes budgétaires les obligent souvent à choisir des alternatives moins coûteuses. Lucie, 39 ans, explique :
« À chaque fois que je vais au Panier, j’en ai pour une fortune alors que je n’ai que deux légumes… »
Certains expriment également un sentiment de distance sociale ou culturelle vis-à-vis des circuits courts organisés, tels que les Amap, perçues comme élitistes ou peu inclusives. C’est le cas de Clotilde, 43 ans et mère de deux enfants :
« Au début, j’allais chercher mes paniers à l’Amap de Noisy-le-Grand. J’aimais bien le principe de faire partie d’une communauté, de favoriser les producteurs à proximité. Et j’avoue ne pas m’être sentie intégrée autant que je le pensais. »
Malgré tout, notre recherche montre que l’intérêt pour l’alimentation locale est réel et repose sur des valeurs fortes : santé, qualité des produits, soutien à l’économie locale et réduction de l’empreinte écologique. Pour transformer cette aspiration en une réalité accessible, il paraît nécessaire d’adopter une approche systémique, mobilisant les niveaux micro (consommateurs), méso (distributeurs et collectivités) et macro (politiques publiques).
Quelques pistes concrètes peuvent être suggérées.
Pour franchir la première barrière identifiée, il pourrait s’agir de stimuler l’investissement dans une logistique décentralisée : des infrastructures adaptées, comme des plates-formes de distribution locale, faciliteraient le rapprochement entre producteurs et consommateurs, réduisant ainsi les coûts. Cela peut aussi passer par une inclusion de la grande distribution dans les projets alimentaires territoriaux (PAT) : cette intégration encouragerait un dialogue entre les producteurs locaux, les distributeurs et les collectivités pour structurer des réseaux alimentaires plus inclusifs.
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Imposer des quotas de produits locaux dans la grande distribution à l’instar de ce qui se fait dans la restauration collective publique pourrait aussi être envisagé. Un pourcentage minimum de produits locaux dans les rayons des grandes surfaces garantirait une meilleure visibilité et accessibilité. Les consommateurs ont par ailleurs besoin de mieux comprendre où et comment acheter local. Des campagnes d’information et un étiquetage clair pourraient dissiper les doutes et renforcer la confiance. Dominique, 44 ans, explique :
« Je reçois parfois le catalogue du Super U qui fait la publicité de leur engagement auprès des producteurs locaux. Je me souviens également avoir vu des pubs tv pour la même chose chez Carrefour ou Leclerc. Mais au-delà des publicités, les produits ne sont pas particulièrement mis en avant en rayon, ou alors c’est que je n’ai pas été sensible à leur mise en rayon. »
Caterina, 29 ans, acquiesce :
« Il y a des produits locaux mais ça peut rester difficile d’en trouver ; à certains endroits dans les supermarchés, ils ne sont pas mis en valeur : je n’ai jamais vu une grande pancarte pour m’indiquer que c’est local. Il n’y a pas de rayon dédié aux produits locaux de sa ville ou ville voisine. »
Soutenir le développement d’enseignes spécialisées, axées sur les circuits courts, permettrait enfin d’intégrer les produits locaux dans les habitudes d’approvisionnement des consommateurs.
Marie-Laure Mourre, Maître de conférences en sciences de gestion, IAE Paris-Est et Christine Gonzalez, Professeur des universités en sciences économiques et de gestion, Le Mans Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.