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Financements, alternatives, positions de la France, évolutions : à quoi le paysage de l’aide publique au développement et des organisations non gouvernementales ressemble-t-il aujourd’hui ?
Le 20 août 2024, Gabriel Attal, premier ministre démissionnaire, envoyait aux différents ministères les lettres plafond, fixant pour chacun d’entre eux les orientations budgétaires 2025. Si nombre de détails sont encore en suspens, celles-ci augurent d’un budget de l’État 2025 identique à 2024, c’est-à-dire déjà amputé, par rapport à 2023, d’un certain nombre de crédits. C’est notamment le cas de l’aide publique au développement (APD), qui se verrait amputée de 20 % d’après les éléments communiqués publiquement. À moins que des évolutions ne soient décidées par l’équipe constituée par Michel Barnier, nouvellement nommé à Matignon, l’APD française, déjà fortement réduite en 2024, risquerait de retomber à son niveau de 2016, gommant au passage tous les progrès atteints depuis l’arrivée au pouvoir du président Macron.
L’APD est une politique publique relativement ancienne, ancrée dans l’avènement du monde multilatéral qui émerge après la Deuxième Guerre mondiale. À la manière du plan Marshall, le président américain Harry Truman initie en 1949 l’ère du développement, lors de son célèbre discours sur l’état de l’Union, dans lequel il proclame :
« Il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration et de la croissance des régions sous-développées. »
L’idée, pour reprendre la formule du politiste Olivier Charnoz et de l’ancien directeur de l’Agence française du développement Jean-Michel Severino, c’est de faire « transiter » (des pays dits riches) vers d’autres des ressources publiques en vue de contribuer à leur développement. » Si cette aide internationale est, dans les années 1950, plutôt dominée par l’action américaine au Japon et en Europe, elle va progressivement s’ouvrir, notamment à l’occasion des processus de décolonisation des années 1960, à d’autres pays donateurs et récipiendaires.
Ainsi, dans ces années, se structure toute une architecture dédiée, sous l’égide du Comité d’aide au développement (CAD), une structure de l’OCDE fondée en 1961 pour centraliser les statistiques et faciliter l’échange de bonnes pratiques. Le CAD compte aujourd’hui une trentaine des membres qui ont fixé l’objectif, pour chacun des pays donateurs : que l’APD, atteigne à l’horizon 2015, 0,7 % de la richesse nationale brute (RNB) produite par chaque pays.
Face aux multiples crises et à l’augmentation des vulnérabilités, la « communauté internationale » s’est fixé plusieurs objectifs de réduction de la pauvreté et des inégalités, et de lutte contre changement climatique depuis le début du XXIe siècle. Cela est notamment passé par l’adoption de plusieurs agendas spécifiques : les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) en 2005, suivi de celui des objectifs de développement durable (ODD) en 2015. Très ambitieuses, ces politiques publiques internationales doivent faire face à de nombreux besoins : près de 42 milliards d’euros pour la seule aide humanitaire en 2024, et 540 milliards d’euros annuels pour mettre en œuvre les accords de Paris dans les pays appauvris.
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L’APD a régulièrement augmenté dans le courant des années 2010, certains pays atteignant l’objectif des 0,7 % comme la Grande-Bretagne, la Norvège ou la Suède en 2018. Si la France n’a jamais atteint ce pourcentage, l’année 2017 a enclenché une nouvelle tendance. En effet, l’APD française a substantiellement augmenté entre 2017 et 2022, passant de 0,47 % du RNB à 0,56 %. Cela représente une contribution de près de 15 milliards d’euros sur un total mondial de 200 milliards d’euros. Reste que ce montant stagne globalement depuis 2020. Bien qu’au-dessus de la moyenne en 2023 (0,5 % contre 0,37 % pour l’ensemble des membres du CAD), la France n’a pas encore atteint ces 0,7 %, promis pourtant par Emmanuel Macron en 2021 pour le budget 2025.
En parallèle se structurent aussi des canaux de financement autres que l’APD. Par exemple, dès 2004, les transferts de fonds des diasporas émigrées vers leurs pays d’origine dépassent le montant annuel de l’APD occidentale et ne cesseront d’augmenter pour atteindre quasiment 600 milliards d’euros en 2022.
Certains pays émergents, comme le Mexique, déploient également progressivement des formes de coopération qualifiée de sud-sud. Les flux de cette aide en provenance de 19 pays non-membres du CAD, qui partagent à l’OCDE leurs données, sont ainsi passés de 1,1 milliard de dollars en 2000 à 17,7 milliards de dollars en 2022.
Enfin, le secteur privé est également mis à contribution via différents mécanismes tels que le co-financement de projets publics, ou plusieurs formes de prêts. L’OCDE estimait en 2020 à 45 milliards d’euros le montant des investissements privés dédiés au développement.
Si l’APD prend majoritairement la forme de prêts et de dons entre États, elle peut « transiter » via des organisations tierces, comme les agences multilatérales et internationales mais aussi via les ONG. Depuis leur émergence, ces organisations sont devenues des maillons incontournables de l’aide internationale. Structures non lucratives, elles sont souvent classées en trois catégories d’action : solidarité internationale, droits humains et environnement. Il n’y a pas de dénombrement précis à l’échelle internationale. En France, on considère qu’il existe 450 à 500 associations nationales « gestionnaires » de solidarité internationale.
En tant qu’intermédiaires entre les États donateurs et ceux que l’on qualifie généralement de bénéficiaires, les moyens des ONG sont particulièrement dépendants des montants alloués par les États du CAD à l’APD en général, et de la part de celle-ci qui « transite » par les ONG. Comme nous le montrons dans nos travaux, ce sont ces deux facteurs qui expliquent, entre autres, les différences de moyens, pendant plusieurs années, entre les ONG françaises et leurs homologues anglo-saxonnes.
La situation a substantiellement évolué ses dernières années. Le secteur des ONG françaises a ainsi connu entre 2016 et 2020, du point de vue de ses ressources, une situation plutôt favorable. Elles passent de 1,6 milliard d’euros en 2016 à près de 2,3 milliards en 2020, soit une augmentation de près de 43 % sur la période, en particulier grâce aux ressources publiques. Les ONG françaises ont aussi su mobiliser des ressources publiques internationales, qui viennent notamment de l’Union européenne, ou encore des coopérations bilatérales. Les ONG connaissent aussi une augmentation constante de leurs ressources privées, de plus de 20 % sur la période, provenant principalement de dons (92 % en 2020) ou du mécénat d’entreprises.
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En creux, le secteur des ONG françaises se structure depuis quelques années en « oligopole à franges », caractérisé par une dizaine de très grandes ONG qui mobilisent près de 75 % des financements en 2020 (elles en mobilisaient moins de 50 % il y a dix ans), et une myriade de petites et moyennes structures, aux profils divers et expertises plurielles.
En parallèle, on constate la croissance importante des différents types d’acteurs et d’actrices qui évoluent dans le champ de la solidarité internationale – parfois éloignées des réseaux historiques des ONG. C’est notamment le cas d’entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS), comme les coopératives ou encore des fondations agissantes, comme celle de Bill et Melinda Gates, qui interviennent directement ou indirectement sur la solidarité internationale.
Au-delà de l’émergence de ces nouveaux acteurs, des tendances récentes – d’aucuns parleraient d’injonctions – vont, à moyen et long terme, très certainement transformer le financement des ONG, en particulier les ONG occidentales.
En 2016, à l’occasion du sommet mondial sur l’action humanitaire, la communauté internationale a acté un accord, le Grand Bargain, qui, articulé autour de 51 engagements, a notamment pour objectif de localiser l’aide humanitaire internationale. S’appuyant sur les expériences et les échecs du système humanitaire, notamment en Haïti, la localisation est généralement définie comme « une série de mesures que les différentes parties constituantes du système humanitaire international devraient adopter afin de rééquilibrer le système plus en faveur des actrices et acteurs nationaux, afin qu’un système recalibré exploite les points forts de ses parties et améliore les approches de partenariat dans l’action humanitaire ».
Au cœur de nombre d’agendas des principaux bailleurs de l’APD – comme la France – la localisation de l’aide pose en creux la question du positionnement et du rôle des ONG occidentales dans un monde qui se « désoccidentalise », plus avantagée pour l’heure que les acteurs locaux en particulier dans l’accès aux différents canaux de financement.
Vincent Pradier, Doctorant en sciences de gestion, IAE Paris – Sorbonne Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.