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Résilience climatique des entreprises : comment préserver son avantage concurrentiel ? – The Conversation

Natacha Tréhan, Grenoble IAE Graduate School of Management, Le 27 janvier 2025

La nouvelle directive européenne sur les obligations de publications d’informations durables CSRD (Corporate sustainibility reporting directive) impose aux entreprises de plus de 250 salariés de mesurer la résilience climatique de leur chaîne de valeur. GreenOak/Shutterstock

Les entreprises de plus de 250 salariés doivent dorénavant mesurer la résilience climatique de leur chaîne de valeur. De l’amont – matières premières – à l’aval – utilisateurs. Comment s’y prennent-elles ? Trois objectifs clés : absorber le choc, s’adapter suite à la crise et se transformer pour devenir plus robuste.


40 % des usines de semi-conducteurs sont situées dans des zones où le stress hydrique sera extrêmement élevé d’ici 2030. L’approvisionnement mondial des filières automobiles, aéronautiques et électroniques est déjà menacé. Les chaleurs extrêmes et les inondations dans les quatre principales zones de production de vêtements – Bangladesh, Cambodge, Pakistan, Viêt Nam – causeraient 65 milliards de pertes pour ces pays. Ici, c’est la chaîne de valeur mondiale de l’habillement qui est menacée – des fournisseurs de matières premières aux consommateurs, en passant par les industriels.

Au rythme actuel, le réchauffement climatique atteindra 3,1 °C d’ici la fin du siècle. Les événements extrêmes (ouragans, sécheresses, inondations…) vont s’intensifier, se multiplier en mettant en péril des chaînes de valeur complètes. En termes de crises climatiques, le pire reste à venir. L’enjeu est alors la résilience, notamment des supply chain.

Qu’est-ce que la résilience ?

Selon le GIEC, elle se définit comme la « capacité des systèmes sociaux, économiques ou environnementaux à faire face à une perturbation, une tendance ou un événement dangereux ». Trois dimensions la caractérisent :

  1. La capacité d’absorption d’un choc ;

  2. La capacité d’adaptation suite à la crise ;

  3. La capacité de transformation pour devenir plus robuste.

Il convient de distinguer management des risques et management de la résilience. Dans le management des risques, il s’agit de limiter la probabilité d’apparition d’événements indésirables et/ou de minimiser leur impact avant qu’ils ne se matérialisent. Avec le dérèglement climatique, la prévision des événements, l’estimation de leur intensité devient de plus en plus difficile. L’enjeu alors est de savoir réagir à une crise brutale, inattendue. Le management de la résilience devient de facto déterminant.

Management des risques et management de la résilience sont complémentaires, mais ce n’est pas parce qu’une entreprise manage ses risques qu’elle est résiliente. Seules 10 % des entreprises ont de réelles capacités de résilience.


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Vers une prise de conscience avec la CSRD

La nouvelle directive européenne sur les obligations de publications d’informations durables – CSRD Corporate Sustainibility Reporting Directive – demande justement aux entreprises de plus de 250 salariés de mesurer la résilience climatique de leur chaîne de valeur. Il s’agit d’évaluer et de hiérarchiser les impacts, risques et opportunités liés au climat selon un principe de double matérialité.

Concrètement, mesurer les coûts financiers que le climat pourrait avoir sur la chaîne de valeur de l’entreprise, de l’amont – matières premières – à l’aval – utilisateurs – matérialité financière. Et les impacts que l’entreprise pourrait avoir sur le climat – matérialité d’impact. Pour ce faire, l’entreprise doit cartographier ses activités tout au long de sa chaîne de valeur, identifier les principaux acteurs et analyser des scénarios climatiques. Par exemple, un réchauffement de +1,5 °C ou de +2 °C. En fonction des vulnérabilités identifiées, l’entreprise élabore un plan d’adaptation au changement climatique détaillant ses actions, objectifs et ressources dédiées.

Accusée de générer des « contraintes déraisonnables », cette directive est actuellement décriée. Pourtant, en forçant les entreprises à appréhender leur résilience climatique, elle constitue un très bon apprentissage des stress tests trop peu utilisés pour les chaînes d’approvisionnement. Cela favorise une prise de conscience des maillons faibles.

Que les entreprises se rassurent : sur tous les autres paramètres environnementaux, sociétaux et de gouvernance, elles ne doivent reporter que les éléments significatifs ou matériels.

Favoriser la capacité d’absorption

Lorsqu’une crise éclate à l’autre bout d’une chaîne de valeur, les entreprises doivent immédiatement être informées pour activer les procédures d’urgence en interne et avec leurs partenaires. Des recherches montrent que la détection de signaux précoces, le partage et la qualité de l’information tout au long des chaînes de valeur, conditionnent la capacité à absorber les chocs. Encore faut-il connaître les maillons de sa chaîne de valeur !

Si les entreprises européennes connaissent leurs fournisseurs directs (rang 1), la majorité n’a aucune visibilité sur les fournisseurs de leurs fournisseurs (rang 2 et au-delà). Seules 8 % connaissent leur rang 2 et 3 % leur rang 3 et au-delà.

Une solution consiste à envisager la coopétition : l’alliance de la coopération et de la compétition. Il s’agit de collaborer entre concurrents partageant les mêmes chaînes de valeur. En 2023, TRASCE (TRaceability Alliance for Sustainable CosmEtics), un consortium de 15 entreprises est créé dans l’industrie cosmétique. L’objectif ? Améliorer la connaissance et la traçabilité des chaînes d’approvisionnement des ingrédients clés, partager l’analyse des risques et définir des plans de progrès communs.

Renforcer la capacité d’adaptation

Après l’absorption du choc vient l’adaptation. Elle est favorisée par la diversité. Dans le monde du vivant, un champ de blé est plus résistant à la sécheresse et aux pathogènes lorsque plusieurs variétés sont cultivées en mélange. Dans une chaîne de valeur, les doublons – stocks multiples, produits de substitution – et la diversification des fournisseurs et des zones géographiques facilitent l’adaptation aux crises. Efficience ne rime pas avec résilience.

Aussi, les entreprises doivent revoir les indicateurs de performance de leurs stratégies d’achats et d’approvisionnement. Cela signifie sortir des critères de productivité à court terme. L’optimisation systématique des chaînes de valeur mondiales avec une hyperspécialisation et les coûts les plus bas rencontre ses limites dans un monde de crises. Comme le souligne le biologiste Olivier Hamant « optimiser fragilise ». À titre d’exemple, la concentration de la production des principaux médicaments pour l’Amérique dans la zone à bas coûts de Porto Rico, ravagée par l’ouragan Maria en 2017, a totalement ébranlé cette chaîne de valeur.

Les prises de décisions doivent intégrer le chiffrage des impacts climatiques sur les chaînes de valeur grâce aux scénarios et le coût des plans d’adaptation.

Insuffler une capacité de transformation

Enfin, l’enjeu est d’apprendre des crises (pénuries, ruptures d’approvisionnement…). Cet apprentissage conditionne la capacité de transformation. Il s’agit notamment de reconfigurer ses chaînes de valeur vers plus de circularité, de local et d’accompagner ses partenaires dans leur propre transformation. Schneider le fait avec sa démarche Projet Zéro Carbone auprès de ses 1 000 principaux fournisseurs. Les entreprises clientes en bout de chaîne ont une responsabilité importante pour insuffler une transformation tout au long de leur chaîne de valeur. La finalité de cette transformation est de devenir plus robuste.

Toutes ces actions ne sont ni des coûts, ni des « contraintes déraisonnables », mais des investissements pour préserver son avantage concurrentiel.

Natacha Tréhan, Maître de Conférences en Management des Achats responsables. Spécialisation dans la décarbonation des supply-chains, Grenoble IAE Graduate School of Management

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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