Experts en Management
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Faire croître les PME européennes est impératif. Pourtant, les soutiens les plus efficaces ne sont pas forcément ceux qu’on imagine. Le programme Elite offre une approche et des outils originaux.
La question de la croissance et du scale-up des PME européennes est un sujet d’actualité très discuté à la fois par les acteurs économiques, politiques et académiques. Comment permettre aux PME européennes de devenir exportatrices et compétitives à l’étranger ? Pendant longtemps, les PME allemandes ont été citées comme des modèles à suivre, mais face à la montée en puissance économique de nombreux pays comme l’Inde et la Chine, la pertinence de ce modèle est de plus en plus remise en question. S’agissant des obstacles rencontrés par les PME européennes depuis plusieurs décennies, de nombreux travaux de recherche conduits en sciences économiques et de gestion convergent vers les résultats suivants :
l’accès aux ressources financières demeure une préoccupation essentielle
la croissance des PME ne dépend pas des seules variables financières. Les questions d’organisation, de connaissances… ont même un effet autorenforçant.
Face à ces constatations, les acteurs publics nationaux et européens, ont multiplié les dispositifs d’aide destinés à stimuler la croissance et l’exportation des PME, le financement européen en cascade pour les entreprises, avec aussi des mesures orientées directement sur la question de la soutenabilité. On retrouve dans ces dispositifs, à la fois des mécanismes de financement (subventions, prêts, fonds de capital-risque). Simultanément, des mécanismes d’accompagnement des PME ont été développés, comme le font les chambres de Commerce en France avec le dispositif « Team France Export », qui propose une interface digitale pour guider les entrepreneurs.
Il a été souvent mentionné qu’une des difficultés des PME est de se retrouver dans le maquis des dispositifs régionaux, nationaux ou européens, chacun jouant différents rôles parfois complémentaires. Au-delà de la question de la visibilité de ces dispositifs, et de leur accessibilité aux entrepreneurs, une question apparaît comme essentielle : quels sont les besoins réels des dirigeants de PME européennes pour s’orienter vers une croissance soutenable ?
Notre thèse est qu’au-delà de tous les dispositifs proposés, les entrepreneurs ont besoin d’un accompagnement « humain », c’est-à-dire d’une interaction continue sur un temps relativement long avec des individus, une équipe, ayant à la fois une vision globale, des compétences complémentaires et des réseaux pour les accompagner.
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Afin d’étayer cette thèse, nous avons conduit une étude et réalisé des entretiens auprès de l’équipe du groupe Elite issue de la place financière Euronext. Elite illustre selon nous, un exemple de ce qui peut être mis en place pour tenter d’accompagner des PME désireuses de croître et de faire face aux différents défis. Elite a été lancé en 2012 par la Bourse italienne, et est aujourd’hui intégré au Groupe Euronext. C’est un dispositif payant d’accompagnement des PME qui doivent remplir certaines conditions pour y accéder, généralement avoir un chiffre d’affaires supérieur à 10 millions d’euros.
L’originalité de ce programme est i) de s’interroger sur le mode de financement de l’entreprise le plus adapté à son stade de développement, ii) de ne pas se focaliser uniquement sur l’accès aux ressources financières mais de s’intéresser également aux connaissances et compétences que l’entrepreneur doit acquérir pour atteindre une croissance durable sur le long terme grâce à des formations ciblées, iii) et d’impliquer les entrepreneurs dans des ateliers (workshops), des événements de réseautage, des réunions et des échanges entre communautés industrielles et financières essentielles pour leur développement. Il s’agit donc de proposer un accompagnement global, et de dépasser ce qu’on entendait traditionnellement par l’intermédiation financière, via les banques ou via les marchés financiers.
Nous avons conduit une série d’entretiens avec les membres de l’équipe d’Elite afin de mettre en lumière ce que nous appelons une nouvelle forme d’intermédiation de la part d’une place financière. Trois grands domaines d’action d’Elite ont été identifiés afin de mieux répondre aux défis rencontrés par les PME souhaitant croître de manière soutenable et durable.
Le premier domaine concerne l’acquisition de nouvelles compétences et connaissances dans un processus dynamique. Dans un environnement très changeant, les entreprises doivent faire preuve d’anticipation, de réflexivité et de capacité à se transformer :
« Nous sommes aussi une boîte à outils. Nous nous décrivons souvent comme une boîte à outils, pour l’entrepreneur, le PDG ou le directeur financier. Et ils sont libres de choisir les différents outils en fonction de leurs besoins » (chef du développement des produits).
Le deuxième domaine : l’inscription dans des réseaux de manière agile et réactive ; celle-ci est devenue incontournable pour les PME.
« Les compétences et la mise en réseau sont prioritaires. C’est notre premier objectif. Parce que, vous savez, tout le monde a besoin d’évaluer ses compétences ou d’en acquérir de nouvelles pour rester compétitif sur le marché ».
Et enfin, faciliter l’accès à des financements alternatifs, comme l’émission de titres adossés à des actifs d’investisseurs institutionnels et éventuellement préparer les entreprises à accéder aux marchés de capitaux privés ou publics :
« Nous mettons en avant le rôle et l’importance du reporting, de la transparence, de la structuration adéquate du plan financier et de l’importance de la soutenabilité. »
La réussite des PME dans la trajectoire de croissance soutenable dépend le plus souvent des synergies entre ces trois domaines. Il est ainsi crucial d’adopter une approche holistique sur les actions à entreprendre et sur la manière d’agencer ces actions dans le temps et l’espace : « Les réalisations les plus importantes sont liées à la capacité de croissance de ces entreprises dans trois domaines en termes de management, d’emploi et de durabilité ». Elite propose aux entreprises engagées dans son programme un accompagnement avec une équipe dédiée. « Ainsi, chaque entreprise sait qu’une fois insérée dans le programme Elite, elle a un contact Elite personnel. Le dirigeant, le CEO, l’entrepreneur peut décrocher le téléphone, nous sommes là, pour eux, pour les questions de communication, de stratégie, etc., de sorte qu’ils soient très accompagnés ».
Selon Elite, les entreprises bénéficiant de ce programme d’accompagnement affichent des performances supérieures sur trois critères : chiffre d’affaires, marge d’exploitation et création d’emplois. En moyenne, ces entreprises ont enregistré une augmentation annuelle de leur chiffre d’affaires de 11,8 ; %, contre 7,8 ; % pour l’échantillon de référence. Leur taux de marge atteint 17,1 ; %, nettement supérieur aux 12,4 ; % observés dans le groupe de comparaison. Enfin, elles ont vu leur taux d’emploi progresser de 15,5 ; %, bien au-delà des 0,8 ; % de l’échantillon de référence.
Pour assurer efficacement la croissance des PME, il est nécessaire de mettre en place un accompagnement global, que ce soit en termes de compétences, de formations, de réseaux et de financement. Cela est particulièrement important dans un contexte international extrêmement complexe et mouvant.
Il est intéressant de noter que cette proposition émane de la place financière Euronext, qui, jusqu’à présent, était très focalisée sur les marchés financiers pour attirer les PME. Il semblerait que les places financières aient, à leur tour, intégré que l’accès aux ressources financières n’est pas le seul obstacle à la croissance soutenable des PME, et que d’autres variables doivent également être prises en compte. Quelques premières limites à ce programme peuvent être mentionnées. Premièrement, l’efficacité du programme reposant largement sur les interactions entre les entrepreneurs impliqués et l’équipe dédiée, comment conserver la qualité de cet accompagnement avec un nombre croissant d’entreprises ? Deuxièmement, Elite repose sur la coordination de nombreux intermédiaires spécialisés dans des domaines particuliers – banques, sociétés de conseil, cabinets juridiques. On peut s’interroger sur l’équilibre à trouver avec ces partenaires entre coopération et concurrence. Enfin, pour juger de l’efficacité d’un tel dispositif, il est nécessaire, dans une approche croisée, d’interroger les entreprises impliquées et de suivre leur évolution, afin d’évaluer l’impact réel du programme proposé.
Laurence Cohen, Maître de conférences en Finance, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3 et Valérie Revest, Professeure des universités en sciences économiques, centre de recherche Magellan, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.