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État et collectivités territoriales : une décentralisation encalminée, des relations dégradées – The Conversation

Jean-Christophe Fromantin, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne; Carlos Moreno, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Didier Chabaud, IAE Paris – Sorbonne Business School, Le 17 novembre 2024

Le 106e Congrès des Maires de France aura lieu du 18 au 21 novembre. Où en est le processus de décentralisation ? Pourquoi les relations entre l’État et les collectivités territoriales sont-elles de plus en plus conflictuelles ?


La France est une République décentralisée, ainsi que l’énonce l’article premier de la Constitution. Pour autant, cette « organisation décentralisée » s’est inscrite dans des mouvements multiples depuis 40 ans, et donne lieu ces dernières années à l’émergence de tensions contradictoires entre l’affichage de la volonté de décentralisation, et des réformes fiscales qui tendent à priver les collectivités locales de la réalité d’une autonomie de décision.

La longue marche vers la décentralisation

En 1947, la macrocéphalie parisienne est dénoncée par le géographe Jean-François Gravier dans un ouvrage qui sonne comme un diagnostic et infuse le débat public : « Paris et le désert français ». Dès les années 60, l’État se dote d’un « bras armé », la DATAR pour impulser une politique d’aménagement du territoire, de rééquilibrage au profit des métropoles régionales, des villes moyennes et de modernisation des transports. Les collectivités participent de cet élan. La loi de décentralisation de 1982 marque le transfert de nombreuses compétences de l’État vers les collectivités. En 2003, l’Acte II de la décentralisation va plus loin : la Constitution inscrit la décentralisation dans son premier article. L’expérimentation dérogatoire devient possible et un nouveau paquet de compétences est transféré aux collectivités comme le développement économique, le tourisme ou le logement.

La décentralisation à l’épreuve des crises

Pourtant, une dizaine d’années plus tard, la décentralisation marque le pas. La promesse se délite sur fond de crises et de tensions budgétaires, de fermetures d’usines et de licenciements : l’objectif prioritaire de l’État est désormais d’endiguer le chômage. Par ailleurs, la désindustrialisation stimule la diagonale du vide, la crise financière de 2008 contracte l’activité économique, la démographie agricole est en chute libre et les premières tensions dans les banlieues signalent les asymétries du modèle territorial. L’idée d’une « entreprise sans usine » lancée en 2001 par le PDG d’Alcatel, la récession des années 2000 ou le concept de ville globale apparaissent comme les marqueurs d’une obsolescence des territoires.

À une vision d’ensemble se substituent alors deux tendances : des approches plus erratiques de l’État dans les territoires, et la fascination pour la mondialisation qui s’incarne dans les métropoles. L’ouvrage à succès de Thomas Friedman, « La terre est plate, une brève histoire du XXIᵉ siècle » convainc les décideurs d’un changement de paradigme dont les grandes villes seront les pivots.

L’effacement de l’État-aménageur fait place à une politique d’appui aux collectivités. Des politiques sectorielles ciblées (création de l’Agence nationale de la rénovation urbaine en 2003) ou de péréquation horizontale (création du Fonds de péréquation intercommunale en 2012) tentent de corriger les asymétries. Pourtant, les inégalités territoriales se creusent, à la fois entre les territoires, mais aussi l’intérieur des aires urbaines. La DATAR s’éteint en 2014 et laisse la place au Commissariat général à l’égalité des territoires pour renaître en 2019 sous la forme de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires.

La promesse n’est donc plus celle de l’aménagement mais de la cohésion des territoires. Cette évolution n’est pas neutre : les territoires prennent l’avantage sur le territoire au détriment d’une vision d’ensemble. Il s’agit de compenser les effets collatéraux de la polarisation métropolitaine. La France périphérique de Christophe Guilly (2014) ou l’ouvrage du journaliste britannique David Goodhart The Road to Somewhere (2017) alertent sur les tensions en germe. En 2018, la crise des « Gilets de jaunes » met à jour des fractures béantes. La défiance entre l’État et les élus prospère sur le terreau d’une France à deux vitesses.

L’enlisement progressif de l’action publique territoriale

Déjà affaiblies par la sédimentation des compétences liées à l’enchevêtrement des strates et par un défaut de ressources, les collectivités s’enlisent dans une organisation peu agile. Les lois Maptam (2014) et NOTRe (2015) renforcent les inerties. Elles institutionnalisent le primat métropolitain, diluent l’action régionale dans de grands périmètres géographiques, imposent l’intégration des communes dans des intercommunalités alors même que les effets d’entraînement des métropoles sur leur environnement sont parfois inexistants.

En région parisienne, la Métropole du Grand Paris s’empile dans une gouvernance déjà fortement encombrée (communes, établissements publics territoriaux, départements, région, préfectures, 100 syndicats mixtes). Le système s’alourdit et l’urbanisme, composante centrale du fait communal, échappe finalement aux maires.

La perte d’autonomie fiscale sonne le coup de grâce !

Les réformes fiscales de ces dernières années sonnent le glas de l’indépendance financière des collectivités locales. Après la suppression des leviers fiscaux pour les régions et départements (2004) et le transfert de l’ex-taxe professionnelle aux intercommunalités (2015), la loi de finances de 2020 marque l’abandon de la taxe d’habitation](https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/287097-la-suppression-taxe-dhabitation-quelle-reforme-pour-quels-enjeux). La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises se profile à l’horizon 2027.

Certains argueront du caractère secondaire de ces suppressions pour les collectivités locales, l’État s’étant engagé à les compenser « au centime près ». Mais en remplaçant la fiscalité propre des collectivités par des fractions de fiscalité nationale (160 milliards en 2024), l’État devient le premier financeur des politiques territoriales. Il met donc un point d’arrêt à la décentralisation en touchant l’élément crucial de l’autonomie des collectivités, leur budget devenant une composante de l’ajustement du budget de l’État. Cette évolution est doublement ressentie par les élus comme une perte d’autonomie et comme un dommage collatéral des déficits de l’État central.

Aujourd’hui, le risque est grand d’achever la « déconstruction du modèle d’autonomie fiscale locale ». Les élus locaux sont désormais privés d’une grande partie de leurs possibilités d’action : ils se retrouvent dans l’incapacité de retirer les bénéfices de leurs choix politiques. Pourquoi attirer des habitants supplémentaires, ou bien des entreprises, si l’on ne bénéficie pas directement des recettes générées ? Cela est d’autant plus préoccupant que la capacité des collectivités locales à investir dans les infrastructures est déterminante pour favoriser le développement de l’emploi local.

La décentralisation participe de l’efficacité des politiques publiques et d’une attente des Français à renouer avec des échelles humaines. Or les tensions actuelles sont d’autant plus fortes que l’État peine à assumer ses propres compétences et qu’il laisse les collectivités en première ligne face à de nombreuses difficultés. La sécurité est emblématique de ces transferts non compensés : avec 27 000 policiers municipaux, les communes assurent aujourd’hui le cofinancement d’une mission régalienne de l’État.

En 2023, une enquête de l’AMF et du CEVIPOF alertait sur l’accélération des démissions de maires – plus de 1300 depuis les élections de 2020. Le phénomène s’est accentué en 2024 avec plus de 40 démissions chaque mois.

Dans ce contexte de tensions, l’avenir de la décentralisation n’implique-t-il pas un nouvel alignement des échelles, des compétences et des ressources ?

Jean-Christophe Fromantin, Chercheur-associé Chaire ETI IAE-Paris-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne; Carlos Moreno, Directeur scientifique de la Chaire  »Entrepreneuriat Territoire Innovation », Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Didier Chabaud, Directeur de la Chaire entrepreneuriat Territoire innovation, Professeur en sciences de gestion – SRM/LAB IAE Paris-Sorbonne, IAE Paris – Sorbonne Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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