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La manageuse est-elle l’avenir de la décarbonation ? – The Conversation

Jérôme Caby, IAE Paris – Sorbonne Business School; Clotilde Coron, Université Paris-Saclay et Ydriss Ziane, IAE Paris – Sorbonne Business School, Le 4 Août 2024

Managers, comités de direction, comités exécutifs, conseils d’administration… on le sait, les femmes restent sous-représentées aux différents niveaux de responsabilités des entreprises, en particulier dans l’industrie technologique. Le faible taux de féminisation de ce secteur s’explique au moins partiellement par la ségrégation genrée des formations, et notamment le faible taux de féminisation des filières d’informatique, d’ingénierie et mathématiques. Le constat est alarmant et les autorités se mobilisent ; la campagne « Tech pour toutes » vise ainsi à accompagner 10 000 femmes vers les métiers du numérique.

Le secteur est également régulièrement épinglé pour sa contribution au réchauffement climatique. Comme le montre une récente étude, la part des émissions mondiales de gaz à effets de serre provenant des technologies de l’information et de la communication est comprise entre 2,1 % et 3,9 %.

Et si ces deux questions étaient liées ? Et si davantage de mixité aux postes de direction était associée à davantage de préoccupations environnementales ?

Des différences d’attitude

Nombre d’études confirment les effets positifs de la mixité genrée dans les postes de direction sur les activités de l’entreprise. Elles mettent par exemple en avant une corrélation entre la féminisation des conseils d’administration et une meilleure performance des investissements, pour un moindre risque, dans le domaine bancaire. Sur un échantillon de 2 millions d’entreprises en Europe, des économistes du Fonds Monétaire International ont identifié une association positive entre la performance financière et la proportion de femmes parmi les cadres supérieurs.

 

Sur la question environnementale aussi, une plus grande mixité des instances dirigeantes est associée à une meilleure performance environnementale des entreprises. Différents concepts sont mobilisés pour l’expliquer. La socialisation genrée, c’est-à-dire le fait que les filles et les garçons (puis les femmes et les hommes) soient éduqués différemment, engendre des différences d’attitudes et de valeurs, avec des femmes en moyenne plus ouvertes au changement et moins enclines à prendre des risques. Cela les rend plus susceptibles de soutenir des pratiques respectueuses de l’environnement que les hommes.

Cependant, une revue de 187 publications sur les effets de la présence de femmes dans les postes à responsabilités sur le développement durable constate que la plupart des études se centrent sur la mixité au sein du conseil d’administration. Les études consacrées à la mixité à d’autres niveaux, tels que le comité de direction, ou encore les différents niveaux managériaux, restent rares.

Davantage de mixité, davantage d’informations divulguées

Dans une recherche récemment publiée, nous tentons ainsi de comprendre les effets de la mixité à différents niveaux de responsabilités de l’entreprise sur la divulgation volontaire d’informations dans l’industrie technologique. Pour favoriser une transition vers une économie mondiale à faibles émissions de carbone, une divulgation de qualité et pertinente des émissions de carbone reste en effet un préalable à la mise en œuvre concrète d’une politique efficace de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Comment en effet s’assurer de l’efficacité des politiques de réduction, si l’on ne dispose pas de données fiables et homogènes ? La récente réglementation européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) s’inscrit d’ailleurs dans cette dynamique de renforcement de la quantité et de la qualité des informations extrafinancières publiées par les entreprises.

 

L’originalité de notre travail tient notamment à la diversité des mixités de genre observées : genre du ou de la DG, du ou de la présidente du conseil d’administration, taux de féminisation des membres du conseil d’administration, des cadres supérieurs et des cadres opérationnels. La recherche concerne 138 entreprises issues de 17 pays différents sur la période 2014-2020. La divulgation volontaire d’informations sur le carbone et sa qualité sont évaluées à l’aide des données du Carbon Disclosure Project.

Les résultats montrent tout d’abord que le pourcentage de femmes a considérablement augmenté sur la période au sein des conseils d’administration, des postes de direction et des postes de direction opérationnelle. Le pourcentage de femmes présidentes de conseils d’administration a également légèrement augmenté. Toutefois, les niveaux restent faibles. En 2020, le taux de féminisation moyen des conseils d’administration était de 27,6 % et le pourcentage de femmes PDG de 3,1 %.

Les résultats confirment que la participation des femmes aux conseils d’administration a un impact positif sur la divulgation d’informations sur les émissions de gaz à effets de serre et sur la qualité de ces informations. Avoir pour PDG une femme ou un taux de féminisation plus élevé que la moyenne des postes de direction opérationnelle influence positivement la divulgation volontaire d’informations sur le carbone. Suivant la théorie de la masse critique, avançant que le taux de féminisation n’a un effet qu’à partir du moment où il dépasse un seuil critique, nos analyses indiquent que l’atteinte d’un seuil de 30 % au sein de l’équipe de direction a un impact significativement positif sur la divulgation volontaire d’informations sur les émissions carbone par les entreprises du secteur technologique.

Pas de loi, pas de mixité managériale

Ces observations confirment la nécessité d’accroître la présence des femmes dans les postes de direction, quel que soit le secteur d’activité, pour décarboner nos économies. À ce jour, principalement en Europe, des réglementations ont été introduites pour atteindre un pourcentage minimum de femmes au sein des conseils d’administration. En France et aux Pays-Bas, de nouvelles lois ont été mises en œuvre pour accroître également les taux de féminisation parmi les cadres supérieurs. Nos résultats encouragent la diffusion de ces réglementations dans d’autres pays afin d’améliorer la divulgation des émissions de carbone et, à terme, de réaliser une transition vers une économie mondiale à faible émission de carbone.

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Car le constat est clair, pas de loi, pas de résultat. Après la loi Copé-Zimmerman adoptée en 2011, qui impose des quotas de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance, les entreprises du CAC 40 comptent aujourd’hui près de 40 % de femmes dans leur conseil d’administration mais le chemin fut bien long. En 2023, on rappellera que sur les 40 entreprises du CAC, on ne trouve aucune femme PDG, que 2 femmes présidentes de conseil d’administration et 3 femmes directrices générales. L’exclusion des femmes de l’Olympe de la gouvernance d’entreprise du CAC 40 perdure donc, et la loi Rixain votée en 2021 pour imposer la mixité dans les comités de direction et les comités exécutifs n’entrera pleinement en vigueur qu’à horizon 2029.

La fonction publique est également concernée et une loi s’applique, dès cette année, pour porter à terme à 50 % le taux de mixité sur les postes de décision dans la fonction publique. Les amendes, 90 000 euros par manquement, sont conséquentes pour les administrations récalcitrantes. Il faudra certainement du temps pour observer les effets concrets de ces évolutions structurelles sur les marchés de l’emploi et des efforts de long terme pour orienter les jeunes femmes vers des filières où elles sont encore bien trop sous-représentées. La crise politique récente a démontré que les femmes sont les premières victimes lorsque survient un changement soudain. Elles sont 7 de moins qu’en 2022 et 16 de moins qu’en 2017 dans la nouvelle assemblée, la leçon pourrait servir.

Jérôme Caby, Professeur des Universités, IAE Paris – Sorbonne Business School; Clotilde Coron, Professeure des universités en Sciences de gestion, Université Paris-Saclay et Ydriss Ziane, Maître de conférences, IAE Paris – Sorbonne Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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