Experts en Management
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Christian Defélix, Professeur et directeur de Grenoble IAE
Ingénierie concourante, projets collaboratifs, communautés de pratiques, management 2.0… Les vingt dernières années ont vu se multiplier, dans les entreprises, les recommandations en faveur d’une pratique plus collective du travail et de la performance. Et pourtant, l’individualisation des pratiques de gestion des ressources humaines ne s’est jamais aussi bien portée ! En particulier, les pratiques de gestion des compétences, largement diffusées aujourd’hui, se centrent presque toujours sur la compétence individuelle, qu’il s’agit de spécifier, identifier ou développer. Comment pourrions-nous mieux relier la gestion des compétences aux impératifs croissants d’une performance toujours plus collective ?
La réponse se trouve sans doute aussi bien dans la « boîte à idées » des chercheurs en organisation que dans les pratiques pionnières de quelques organisations à suivre. Du côté des chercheurs, le concept de « compétence collective » s’est progressivement développé depuis les années 1980 : que ce soit pour un orchestre de musique, une équipe de hand-ball ou un groupe d’opérateurs, il désigne une combinaison réussie des apports individuels de chacun, de telle sorte que le « tout » dépasse la somme des parties. A l’image d’un mur qui tient debout, la compétence collective est la résultante de bonnes fondations (l’organisation valorise le travail de l’équipe et lui donne des missions claires), d’un choix judicieux de briques (en rassemblant des compétences individuelles à la fois similaires et complémentaires), et d’un apport de ciment (cohésion d’équipes et style de management axé sur la dynamique de groupe).
Sur le terrain des organisations, on peut observer des pratiques qui vont dans le sens de ce concept, quelle que soit l’appellation qu’on lui donne. Certains privilégient les fondations : dans cette grande société d’assurances, un outil maison adapté de la « balance scorecard » pousse les managers à fixer et atteindre des objectifs de dynamique collective. D’autres font attention à l’agencement des briques : chez cet éditeur de jeux vidéo de rang mondial, on mise sur le transfert de compétences pour que les « talents », nécessairement mobiles et volatiles, puissent se former mutuellement. D’autres encore ont le souci du ciment : dans ce service de réanimation néonatale, médecins et infirmières tiennent des « colloques » hebdomadaires et développent des retours d’expérience pour raccourcir les délais de diagnostic et augmenter leur propre cohésion.
Il est donc largement possible de gérer, au-delà des seules compétences individuelles, les compétences collectives, pour que nos entreprises, nos services publics et nos associations gagnent en performance. A charge pour nous de renoncer à une vision encore dominante, qui fait du collectif la simple addition des compétences individuelles, pour en faire un véritable moteur du développement de nos organisations.
Pour en savoir plus : C. Defélix, M. Le Boulaire, V. Monties et T. Picq, « La compétence collective dans le contexte de la globalisation du management : retrouver le lien avec la performance », @grh, 2014/2, n°11, pages 31 à 50.